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Vesica Piscis
Vesica Piscis
par G. Denom
Le vesica piscis, appelé aussi mandorle (amande), est la figure géométrique formée par l'intersection de deux cercles de même diamètre, lorsque le centre de chacun appartient à la circonférence de l'autre.
Malgré le succès de cette figure dans la mouvance new-age, comparable à celui du nombre d'or, qui permet à certains d'élucubrer à son sujet plus que de raison, Axel Schneider a raison d'insister sur le fait qu'elle est au coeur d'un ensemble de spéculations ésotériques assez anciennes, ensemble qui, en raison notamment de sa nature mathématique, peut - une fois n'est pas coutume - être reconnu comme authentiquement pythagoricien.
Quelques illustrations suffiront, en effet, pour montrer que cette structure mathématique, d'un haut degré de généralité, permet de retrouver la plupart des thèmes de la mathématique pythagoricienne.Mieux, nous pensons même que le vesica piscis est l'une des clés majeures de l'ésotérisme pythagoricien, par la richesse des connexions qu'il établit entre les différents concepts de cette doctrine.
Le vesica piscis est "construit" par l'entrecroisement de deux cercles. Il est évidemment tentant de voir dans cette figure une représentation mathématique de la dialectique pythagoricienne de la nature : le Même, l'Autre, et le Mélange. Le vesica piscis évoque aussi la représentation symbolique la plus courante de la notion d'ensemble; où la région du Mélange correspond alors à l'intersection de deux ensembles. Sur cette base logique, le vesica piscis peut être envisagé comme un processus topologique d'ouverture progressive, à partir d'une situation où les deux ensembles seraient disjoints, ou simplement tangents, et leur intersection nulle, ou égale à un seul point - processus d'ouverture qui serait stoppé par un effet "magnétique" à l'instant précis où le centre de chaque cercle rencontre la circonférence de l'autre.
Cette structure se signale par le contraste entre la simplicité des moyens de construction, et la richesse des contenus mathématiques associés. En elle-même, elle semble comporter un principe de générativité, qui l'apparente à la tétractys. Les deux structures se déduisent d'ailleurs l'une de l'autre en ce que, si l'on coupe le vesica piscis par une ligne médiane, les quatre points d'intersection coïncident avec le quatrième étage de la tétractys, autrement dit avec le degré d'extension ou d'"ouverture" maximale de cette structure. Sous ce rapport, la tétractys peut donc apparaître comme le critérium en fonction duquel s'ajuste l'ouverture propre du vesica piscis.
Une conception assez répandue associe le vesica piscis au yoni qui désigne, en sanskrit, l'organe génital féminin. Cette conception, quelle qu'en soit l'origine, apparaît totalement justifiée, si l'on prend soin de préciser que, dans la métaphysique indienne, le yoni est avant tout un symbole qui se rapporte au principe ou au "pôle" féminin de la manifestation universelle, correspondant à ce titre au linga (phallus). Or selon la loi du symbolisme, toujours difficile à intégrer pour nos mentalités modernes, (à moins que l'on soit passé entre les mains de pédagogues comme Guénon ou Borella), c'est toujours l'inférieur qui symbolise le supérieur. Ce sont donc les réalités naturelles qui sont, dans leur ordre propre, des symboles des principes métaphysiques qui leur préexistent; puisqu'elles n'en sont qu'une expression déterminée et contingente; et c'est le "yoni", organe génital féminin, qui symbolise selon son mode le yoni, attribut du pôle féminin de la manifestation cosmique, dont il n'est qu'une expression déterminée dans l'ordre naturel, comme le symbole mathématique du vesica piscis peut l'être dans l'ordre intellectuel qui est le sien.
Mais il est plus intéressant de remarquer que, dans la tradition hindoue, le yoni est constamment associé à l'image du filet de pêche. En maint endroit de la littérature sanskrite, il est dit que le principe divin de la création étend ses "yonis" (toujours alors conçus comme une réalité plurielle) comme le pêcheur étend ses filets. Et la même image se retrouve, à peu de choses près, chez Empédocle. L'ensemble de ce symbolisme tourne donc bien autour de la nature; la génitalité sexuelle n'étant ici qu'un cas particulier. La nature cosmique tout entière procède de la même manière pour créer à tous ses étages : en étendant ses filets, ses yonis qui sont, si l'on veut, des "vessies", des sacs, ou des alvéoles, au sein desquels naissent ou se forment des "poissons", - des monades.
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"Simon-Pierre monta dans la barque, et tira à terre le filet qui était plein de cent cinquante-trois grands poissons; et quoiqu'il y en eût un si grand nombre, le filet ne se rompit point." Jean, 21, 11.
Il est assez vraisemblable que la recherche historique sur ce symbole ancien, et sur la doctrine ésotérique qui lui est associée, ait pu être entravée par le fait qu'elle conduirait à "démasquer" un peu trop de pythagoriciens parmi les auteurs du Nouveau Testament, dont Saint Jean et Saint Paul... - si le soupçon ne s'étend pas jusqu'au Christ lui-même, comme le suppute Schneider. Mais ceci ne ferait que corroborer les géniales intuitions de Simone Weil, qui intègre Saint Jean dans sa liste des sources pythagoriciennes les plus décisives de l'antiquité.
Quelques propriétés géométriques et arithmétiques remarquables
Le Vesica piscis et le triangle équilatéral,
dont la hauteur est égale à 1/2 de racine de 3
Vesica piscis et triangle gnomonique de rang 2
Vesica piscis et racines de 1, 2, 3 et 5,
qui donnent les hypoténuses de 4 des 5 premiers triangles de Théodore
La mesure du Poisson selon Archimède, avec, pour paradigme, le "filet" : le polygone gnomonique de rang 4 (losange de 60/120 degrés) qui est géométriquement issu de la transformation du triangle gnomonique de rang 4 en carré gnomonique de rang 4, ou qui correspond, plutôt, à la phase intermédiaire de ce processus, comme on l'a vu sur le blog 1 (gnomon d'un polygone régulier). Dans le cadre du symbolisme évoqué plus haut, il est intéressant de remarquer que le "lancer de filet" de la création universelle correspond au développement quaternaire, sous la forme d'une transformation géométrique, de la loi du gnomon : "le gnomon du triangle équilatéral est égal au gnomon du carré"; - transformation représentée ici par son moment intermédiaire, transitionnel.
En effet, le triangle gnomonique se transforme en carré gnomonique, par une rotation de 180 degrés des cellules monadiques qui sont ses triangles "pointe en bas", suivie d'une modification de 30 degrés du paramètre angulaire (passage du rapport 120/60 au rapport 90/90). Dans cette logique, les blocs atomiques composant les objets gnomoniques sont considérés comme des cellules "souples", ou "plastiques", génératrices de polygones minimum, polygones qui se "solidifient" en fonction de la configuration angulaire des "noyaux" qui sont leurs centres géométriques de référence, - un peu à la manière dont les choses se passent pour les alvéoles des abeilles.
La construction, par Dürer, du pentagone adjacent à l'hexagone, "à la manière dont, d'après la tradition, le créateur a conçu le plan de l'univers : avec une ouverture de compas inchangée", - c'est à dire selon le principe de symétrie, ou de commensurabilité. Pour Dürer aussi, le vesica piscis est donc associé au thème de la création du monde. Dans cette construction, les deux polygones, pentagone et hexagone, sont définis au moyen de trapèzes spécifiques, correspondant aux quatre points d'intersection de chacun de ces polygones avec les deux cercles générateurs du vesica piscis.
Cette remarquable construction, due à Yvo Jacquier, illustre la correspondance entre le vesica piscis, le pentagramme, et les premières étapes de la division du triangle d'or de Penrose. Ici, c'est l'"amande" intérieure du vesica piscis qui détermine les coordonnées du trapèze du pentagone.
le 23.09.2014
Glose :
On peut remarquer que le nombre 153, somme des 17 premiers entiers et des 5 premières factorielles, et connu par diverses propriétés remarquables, est aussi le troisième des nombres engendrés par l'addition, en ordre croissant, des cubes gnomoniques impairs, série dont le quatrième membre est le nombre parfait 496, évoqué ailleurs sur ce blog, et dont les deux premiers sont les nombres 1 et 28.
13=1
13+33=28
13+33+53=153
13+33+53+73=496
Soit :
En empilant ces cubes les uns sur les autres, la progression de ces nombres peut être représentée par un gratte-ciel dont la base s'élargit, de tous les côtés, d'un cube à chaque étape.
Tous les nombres de cette famille sont non seulement triangulaires, - c'est-à-dire qu'ils peuvent s'exprimer comme des sommes d'entiers successifs à partir de 1, les 4 premiers étant respectivement les sommes des : 1, 7, 17 et 31 premiers entiers... d'où : ces nombres ordinaux étant séparés par les intervalles : +6, +10, +14, ..., on déduit aisément que le prochain membre de la série, le nombre 1225, sera égal à la somme des 49 premiers entiers, puisque 31+18=49, - mais en outre hexagonaux; les nombres hexagonaux n'étant du reste que les nombres triangulaires de rang impair.