• Graham Pont : Philosophy and Science of Music in Ancient Greece: the Predecessors of Pythagoras and their Contribution

     

    L'auteur. Graham Pont. Essayiste et chercheur interdisciplinaire australien. Auteur de nombreuses études sur l'histoire de l'art (architecture, musique), en relation avec la tradition ésotérique. Spécialiste, en particulier, de la gastronomie et de l'histoire du vin. Il revendique, en outre, une longue familiarité avec la philosophie pythagoricienne.

    "L'une des ironies de la pensée du XXe siècle est que, alors même que Pythagore s'est vu détrôner de son statut de père de la science et de la philosophie occidentales, aussi bien que d'"inventeur" des mathématiques et de la théorie musicale, les études et spéculations pythagoriciennes semblent connaître un regain de vitalité." Cette introduction, non dépourvue de malice, donne le ton de l'article. Sous couvert de nous intéresser aux "prédécesseurs de Pythagore", Graham Pont nous entraîne dans une excursion érudite au sein de littératures non-conventionnelles du XXe siècle, en quête de la reviviscence d'un esprit pythagoricien, ou d'idées pythagoriciennes.

    Un tel exercice a évidemment ses limites, qui sont celles que peut comporter une "profession de foi" pythagoricienne qui ne s'appuie, au départ, sur un contenu strictement doctrinal. Nombre de ces auteurs pourront, de ce fait, nous apparaître beaucoup moins pythagoriciens qu'ils se l'imaginent. En réalité, il est presque impossible à la mentalité moderne, formée à l'école du "doute méthodique", et de la "relativité des points de vue", de se représenter les exigences que peut comporter un véritable enseignement doctrinal, en terme de consistance et de non-contradiction; sauf à s'être déjà familiarisé avec un enseignement du même ordre, par le biais de la métaphysique indienne, ou par un autre biais.

    Parmi les symptômes de ce nouvel esprit pythagoricien, Graham Pont distingue "une nouvelle conception de la science", dans laquelle "les paradigmes mécanistes et réductionistes" cèdent la place à des visions du monde plus "holistes" et "organiques". La biosphère de Teilhard de Chardin et l'hypothèse Gaïa sont tour à tour convoquées pour illustrer ce nouveau paradigme émergeant, dans lequel Graham Pont reconnaît "la plus ancienne conception scientifique du monde", l'analogie du microcosme et du macrocosme, qui, loin d'être une invention de Pythagore, est une notion commune à beaucoup de cultures de la haute antiquité. Graham Pont reprend logiquement ensuite, en les élargissant à l'occasion, les interrogations de McClain concernant l'antiquité de la doctrine de la musique des sphères.

    Comme l'a dit un poète, "il y a plusieurs demeures dans la maison de mon père", et nul ne détient, en la matière, la lumière infuse. Ou encore : il entre dans la vocation des abeilles que nous sommes de travailler en différents points d'une même ruche. Un tableau de la reviviscence du pythagorisme aurait eu pour nous un aspect bien différent, a priori plus conventionnel. Nous aurions commencé, par exemple, par l'oeuvre de D'arcy Thompson, qui présente une philosophie de la nature concurrente, mais non contradictoire, de celle de Darwin (avec laquelle elle entretient un rapport dialectique continu), dans lequel le paradigme de la "survivabilité des formes vivantes" est remplacé par celui de la "constructibilité des formes de la nature", paradigme qui, s'il n'est pas exclusif du premier, présente l'avantage de ne pas séparer le "monde vivant" du grand ordre de la nature cosmique. Nous aurions poursuivi par quelques mathématiciens marqués par l'influence de D'arcy. Hermann Weyl, dans ses réflexions sur la symétrie. Alan Turing et ses recherches "logico-informatiques" sur la chimie des formes. De là, nous eussions pu revenir à Boole et aux fondements de la logique moderne, ou bien, au choix, tenter une incursion du côté de la physique quantique... 

    En dehors de la voie doctrinale - nécessairement mathématique et scientifique - il existait peut-être une autre voie permettant de juger de l'authenticité d'une foi pythagoricienne, peut-être plus appropriée aux conditions de l'existence moderne, qui est celle, morale, de la Vie pythagoricienne. On sait que le titre donné à plusieurs anciens ouvrages sur Pythagore porte, en grec, une ambivalence de sens, puisqu'il peut signifier aussi bien "biographie de Pythagore" que "style de vie pythagoricien", ambivalence que le vieux français conserve dans l'expression : "Vie pythagorique." - Car en effet, si personne ne peut douter de la foi pythagoricienne de Simone Weil ou de celle de Schwaller de Lubicz, c'est d'abord parce que cette "vocation" s'est montrée dans toutes les actions de leur vie, de manière aussi transparente que dans celle d'Apollonios de Tyane.

     

     

    Cet article a paru pour la première fois dans le Nexus Network Journal, vol. 6 no. 1 (Printemps 2004). Source : http://www.tropinature.com ©Julián Monge-Nájera