-
La doctrine du moteur immobile
VII. LA DOCTRINE DU MOTEUR IMMOBILE DE LA NATURE
ou
Les principes de la physique pythagoricienne d'après Empédocle, Timée, Alcméon, Philolaos...
La dialectique de l'Un et du Multiple
On peut remarquer que, dans la série des objets monadiques, c'est l'objet qui est toujours le même, et l'opération chaque fois différente; tandis que, dans la série des objets premiers, l'objet est à chaque fois différent, mais l'opération : "poser un point dans une nouvelle dimension", demeure toujours la même. Donc, d'une part, la série monadique et la série additive des objets premiers peuvent nous paraître constituer, ensemble, un cas d'application des plus universels de la dyade indéterminée, dans lequel la série monadique occupe la position de l'un et du même, et celle des objets premiers, celle du multiple et du différent; mais d'autre part, chacune de ces séries se présente elle-même individuellement comme une application secondaire de cette même dyade indéterminée, dans une situation cette fois, où chaque terme, chaque pôle de la dyade, échange dialectiquement sa position avec celle de son antagoniste.
série monadique (objets monadiques).................UN (même)
objet un - opérations multiples
série additive (objets premiers)................MULTIPLE (différent)
objets multiples - opération une
Le tenseur binaire empédocléen
Cette dialectique de l'Un et du Multiple est au coeur de la pensée pythagoricienne. Le même processus qui est, ci-dessus, attaché à la construction des objets fondamentaux de la connaissance géométrique, se retrouve sur le plan de la science physique, associé à la doctrine du "premier moteur", ou du "moteur immobile" de la Nature. Un témoin clé de cette antique doctrine est le début du traité De la Nature d'Empédocle, où cette dialectique universelle est évoquée à plusieurs reprises.
"Et il en va ainsi dans la mesure où l'Un
a appris comment naître à partir du Multiple;
et lorsque, de nouveau, de l'Un dissocié le Multiple surgit,
là les choses renaissent pour une vie précaire; et,
dans la mesure où elles pourvoient sans cesse à leur mutuel échange,
elles demeurent ainsi, en cercle, immobiles."
Dans cette dialectique, les catégories qui étaient précédemment celles, mathématiques, de l'Objet et de l'Opération, sont remplacées (par une transposition analogique qui se traduit aussi par une généralisation), par celles de l'Espace et du Temps - qui sont logiquement implicites, bien que non nommément désignées dans le fragment ci-dessus - en tant que cadre général de la science physique. Bien que cette théorie "empédocléenne" du moteur immobile soit relativement méconnue de nos jours, son importance doctrinale est de tout premier ordre, puisqu'elle se rattache aussi bien aux spéculations de Philolaos sur la dyade Limite-Illimité, qu'à la dialectique du Même et de l'Autre du Timée de Platon, avec l'ensemble de spéculations cosmologiques qui l'accompagne, - ces deux dernières théories ne constituant d'ailleurs que des rameaux voisins d'une même branche de la tradition. L'importance de cette doctrine pour les anciens ne fait pas de doute, puisque la notion de moteur immobile s'est conservée, du moins en tant que réquisition logique de la science physique, dans les systèmes de Platon et d'Aristote, malheureusement sans bénéfice sur les idées physiques de ce dernier.
La doctrine du moteur immobile est, en effet, le cadre dans lequel la notion pythagoricienne de symétrie reçoit son développement physique et cosmologique le plus universel et complet, puisqu'il est celui de la mise en correspondance entre les symétries de temps, comme celles du système des médiétés musicales, et celles de l'espace, comme celles qui sont déployées dans la théorie du gnomon ou dans la géométrie des polyèdres. Ainsi, dans le Timée, ce sont les rapports harmoniques de la gamme pentatonique qui fournissent l'échelle sur laquelle sont disposées les sphères des planètes et des étoiles fixes, sphères qui sont disposées comme autant de gnomons concentriques autour d'un centre qui est la terre. Mais il ne faut pas oublier qu'en pythagorisme, les tons de la gamme sont avant tout des coordonnées de temps relatif, de sorte que, ce qui dans la fable platonicienne du "démiurge" (qui n'est, bien évidemment, qu'une figuration du moteur immobile lui-même), se présente comme une "grille" ou un "plan" synchronique de l'univers, doit bien plutôt être envisagé comme un programme diachronique, où les intervalles entre les astres correspondent, biunivoquement, au temps, en tout cas relatif, de leur genèse ou de leur déploiement logique dans l'espace; car le Timée n'est pas seulement une théorie sur la forme de l'Univers, mais sur sa formation et son histoire, les deux problèmes étant logiquement confondus, dans une démarche dont on ne mesure pas toujours suffisamment l'amplitude scientifique.
Etant données les idées tantôt délirantes, tantôt simplement confuses qui ont pu fleurir sur le sujet, il convient d'insister sur le fait que le fameux programme pythagoricien de la "musique des sphères" se résume à un enjeu parfaitement technique : associer le problème de la genèse et de la formation des astres du système solaire (avec comme "plafond" topologique, la sphère extérieure dite des "étoiles fixes"), à celui de la construction mathématique des tons de la gamme; programme qui n'est pas du tout fondé sur la croyance en une quelconque finalité "esthétique" de l'univers, comme se l'imaginent naïvement certains, (l'invasion des préoccupations esthétiques et morales dans des domaines de science où elles n'ont rien à faire étant d'ailleurs en grande partie imputable à Platon lui-même), mais sur un postulat transcendantal, d'ordre purement logique et inductif, qui est que l'espace et le temps ne peuvent, par leur nature même, se développer que de façon symétrique et coordonnée (ou encore : "duale"); postulat de symétrie qui s'applique de la même manière à l'espace-temps empirique et sensible de l'univers physique, qu'il s'applique à l'espace-temps intelligible, a priori, de la mathématique. Car cette correspondance temps-espace est, en réalité, immanente à l'ensemble de la mathématique pythagoricienne, dont elle est le principe moteur : un point de l'espace, un coup de temps; - une figure, un pas; - un objet, une opération; - une planète, une note; et elle est étayée sur le plan des principes les plus généraux de cette mathématique, de manière "synthétique a priori", par la relation de supersymétrie qui existe entre les objets premiers de la géométrie (point, segment, triangle équilatéral, tétraèdre) et les accords fondamentaux de l'harmonie (unisson, octave, quinte, quarte), évoquée sur notre premier blog.(1) Le système du Timée n'étant, d'ailleurs, qu'un survivant chanceux parmi plusieurs autres élaborés dans l'antiquité, généralement héliocentriques, dont les origines sont effacées, mais dont la tradition musicologique de l'Occident a conservé des traces, notamment à travers les divers systèmes symboliques qui associent, à chaque note de la gamme, une planète du système solaire et un jour de la semaine : paradigme dans lequel le programme de la "musique des sphères" cohabite cette fois, sans obstacle technique insurmontable, avec celui des "jours de la création" de la tradition biblique. Au reste, le Timée lui-même n'est peut-être pas aussi chanceux qu'on le suppose d'ordinaire, car, en le lisant, on ne peut se défaire de l'impression gênante que Platon n'a compris que de manière imparfaite le texte qu'il transmet à la postérité, sous une forme sans doute assez remaniée.(2)
Avant de revenir à Empédocle, on pourra remarquer que, dans l'esprit de cette doctrine du moteur immobile, le terme "immobile", dont l'usage est traditionnel, serait mieux rendu par l'expression "non-mû", puisqu'il ne signifie pas, en son sens rigoureux, ce qui est privé de mouvement, mais ce qui n'est mû par rien d'autre que soi-même. De la même manière, l'expression "moteur", qui apparaît, dans son inspiration, quelque peu scolastique ou aristotélicienne en ce qu'elle se concentre sur la relation de causalité logique entre le Non-mû et le Mû, pourrait être avantageusement remplacée par celle de "tenseur", plus opératoire, en ce qu'elle assume plus immédiatement la dimension mécanique du problème que la science a posé à l'univers. Dans la conception grandiose qui est celle d'Empédocle, de Philolaos et de Timée, le cycle entier de l'espace-temps dont relève notre univers manifesté, correspond à une simple "pulsation" du moteur immobile, un bref scintillement - d'ailleurs illusoire sous un certain rapport - de la couronne appelée Harmonie, où "vivent les Sirènes", dans un éternel présent où n'adviennent jamais ni altération, ni changement. En effet, la cosmologie, en tant qu'elle est le cadre de l'achèvement de la connaissance positive, est aussi celui de son annulation au sens logique le plus transcendantal, et donc, de son "renvoi" ou de sa "réintégration" dans un registre de réalité supérieur, qui est l'objet de la connaissance contemplative, - de la connaissance symbolique et ésotérique. Car, si la tétractys ressemble en quelque manière à l'éternité, c'est parce que l'éternité elle-même est semblable à une façade ornée de sculptures, semblable à un tableau de pierre, figé, hors du temps; sauf que celui qui examine avec attention ces sculptures y distingue, très clairement, l'infini des mondes possibles, infini comprenant aussi bien les mondes du genre de celui que nous avons sous les yeux, que d'autres, encore plus agréables à considérer, parce que dotés d'une existence plus permanente, mais qui n'ont, quant à eux, aucune vocation à se manifester. (3)
Le postulat de la science
Mais pour nous, ce qu'il faut retenir de l'enseignement pythagoricien transmis par Empédocle est l'idée que, si l'univers est connaissable, c'est parce que le processus complet de son déploiement spatio-temporel, en tant qu'action une et entière, - bien qu'intérieurement binaire, puisqu'elle a la forme d'un aller et retour, dans lequel une phase de contraction, ("inhibitrice", "centripète" ou "fermante", selon le point de vue chimique, physique ou mécanique selon lequel on choisit de l'envisager), précède une phase d'expansion, ("activatrice", "centrifuge" ou "ouvrante") - ce processus est essentiellement analogue à celui de la construction de la pensée mathématique, en tant qu'elle s'exprime en particulier par une production d'objets : postulat qui se confond donc avec celui de la science, au sens "dur", prédictif et quantifié, que ce terme revêt habituellement de nos jours, et qui correspond, du reste, plus ou moins, à ce que les anciens entendaient par "physique", à savoir une connaissance organique, à la fois générale et unitaire, de la Nature.
Pour comprendre la valeur de cette analogie, il faut avoir à l'esprit que, dans la conception que nous avons présentée plus haut comme celle de Granger, la dualité Objet-Opération - illustrée ci-dessus en mode pythagoricien par l'exemple de la construction des objets fondamentaux de la géométrie - a elle même clairement la fonction de moteur immobile de la mathématique, puisqu'elle apparaît comme le véhicule de la "retroussabilité" indéfinie de cette science, comme le vecteur et l'incitateur constant de sa possibilité interne de croissance, de développement indéfini; - moteur dont la "puissance" ne réside pourtant que dans la seule pensée qui l'investit. C'est dans ce sens que l'on doit comprendre que, pour les pythagoriciens, la pensée du mathématicien qui s'engage dans le champ des opérations et des objets mathématiques, reprend ou reproduit réellement l'action de la pensée (ou de la "tension") qui a produit l'univers. Dans le Timée, le moteur immobile de la nature a une forme nettement vitaliste, puisqu'il porte le nom d'âme du monde - l'univers est pour Platon un être vivant; - mais il peut aussi être vu en tant que pensée motrice, "énergie", ou encore en tant que pensée formatrice, c'est-à-dire "moule" ou "réceptacle"(4), ces différentes façons de voir n'étant pas contradictoires, puisqu'elles se rapportent à différents attributs de ce dont il s'agit.
Dans le système d'Empédocle, les deux grandes tensions qui, à l'échelle macrocosmique, se succèdent pour rythmer la vie de l'univers entier, se retrouvent à toutes les échelles inférieures, où domine la loi du "mélange", et où, sous des noms que l'on traduit habituellement par Amitié et Haine, mais qui ont ici la signification physique plus générale d'attraction et de répulsion, ces deux mêmes tensions gouvernent les naissances et les dissolutions de tous les êtres particuliers.(5) Toutefois, en vertu de l'analogie du microcosme et du macrocosme, tout ce qui advient dans une sphère inférieure, ou intérieure, sous l'apparence du chaos, du hasard ou du mélange, n'est qu'illusoire sous un certain rapport, puisque relativement au tout ou à l'enveloppe extérieure du "sphaïros", ces accidents particuliers apparaissent simplement comme les conditions de l'accomplissement de l'Harmonie éternelle.
Pour Empédocle, "les générations humaines", dans leur ensemble, se situent dans une période où la haine reflue "vers les bords du cercle". Autrement dit, vers la fin d'un mouvement d'expansion, qui n'est pas nécessairement le mouvement global, mais qui peut être un mouvement d'inspir-expir appartenant à une division "cellulaire" inférieure de l'univers, comme le suggèrent certaines indications de son texte. Dans cette perspective, en tous cas, il semble aller de soi que la séparation ontologique à peu près complète qui s'est établie dans la conception des modernes entre les règnes "minéral", d'une part, et "vivant", d'autre part, (catégorie incluant les deux sous-catégories du végétal et de l'animal), - séparation qui, en raison de sa nature paradoxale, les conduit régulièrement à rechercher à la vie une cause extérieure à la "normalité" du processus physico-chimique qui a produit cette terre, sur la base d'un préjugé assez vague touchant la prétendue "rareté" ou l"improbabilité" statistique du phénomène, (préjugé qui est en soi totalement dénué de fondement), comme s'ils voulaient écarter l'hypothèse au moins aussi vraisemblable, que les mondes abritant la vie ne soient pas plus rares, dans la carrière de l'univers, que les fruits dans celle d'un arbre - cette séparation artificielle n'a aucune raison d'avoir cours ici, puisque, pour Empédocle comme pour d'autres anciens, les germes de la vie semblent bien se former dans le repli du minéral, inscrits dans son devenir le plus intime.
Conformément à la thèse officielle d'Aristote et de Théophraste selon laquelle les présocratiques étaient des "physiciens", dans un sens restrictif et péjoratif qui relève bien évidemment de la calomnie pure et simple, la plupart des modernes se sont concentrés, chez Empédocle, sur sa doctrine des quatre éléments, (avec d'autant plus d'imprudence que la doctrine des éléments est un domaine qui, chez les anciens, relève la plupart du temps de la spéculation ésotérique),(6) alors qu'ont été beaucoup plus négligées ou ignorées, d'une part, sa métaphysique, malgré la concordance presque continue de cette dernière avec celle du Timée, et d'autre part, la perspective réellement scientifique de son positionnement de physicien, qui fait que le langage d'Empédocle parle encore, sans qu'on doive s'en étonner, à certains physiciens quantiques de notre temps.
Ce langage se distingue, avant tout, par son organisation bipolaire.
D'un côté, un pôle harmonique : le Sphaïros, qui, bien qu'il soit immuable et éternel, puisqu'il se réduit à une constante arithmologique universelle, ne représente, du point de vue de la connaissance positive, que le produit continu ou le "zéro logique" correspondant, à chaque instant du temps, à la neutralisation de l'ensemble des opérations particulières qu'il héberge dans son sein, "dans la mesure où elles pourvoient sans cesse à leur mutuel échange". A cette notion correspond, de toute évidence, le principe moderne d'invariance, qui est, avec celui de symétrie (dont il est une expression particulière), le sésame de toute la physique moderne. Selon Hermann Weyl il n'existe aucun problème physique qui ne se réduise, formellement, à un problème de symétrie.
De l'autre côté, un pôle chaotique, dont la fonction topologique est comparable, si l'on veut, à celle d'un entonnoir ou d'un siphon, capable de transformer une multiplicité discrète en unité continue, et dont le substrat logico-physique est le vide; - pôle qui, à l'échelle "mésocosmique" qui est celle de la vie et de la nature humaine, (nature néanmoins investie de la valeur d'exemple, en tant que représentant quelconque de l'ensemble "gigogne" continu et fluide auquel elle appartient) porte le nom de Mélange, dont l'archétype est la reproduction sexuée, mais qui, à des échelles inférieures ou supérieures, pourrait être rendu par les idées de précipitation, d'accrétion ou d'agglomération, - dont la gravité newtonienne peut donc elle aussi constituer un aspect, ou un exemple, - et à l'échelle de la constitution des éléments premiers de la matière, par celle de cohésion ou de cohérence.
On a là un langage à vocation algébrique, et d'une extension universelle en ce qu'il vise à définir par une action déterminée tout ce qui, à quelque échelle de la nature que ce soit, se présente comme unité, "monade". Bref, Empédocle est sans doute le premier pythagoricien à avoir sérieusement tenté d'envisager le monde comme le résultat d'une expérience physique, avec ce caractère de "coup de dés", d'action entière et complète "dégringolant" en elle-même, que le problème a conservé dans l'imaginaire de la physique moderne... - mais dans l'imaginaire seulement; car, en réalité, aussi longtemps qu'une science demeure ignorante des lois qui gouvernent son objet en tant que totalité, elle ne peut que rester hésitante, sans boussole, au moment de se prononcer sur la nature des plus petites parties qui le composent, quelle que puisse être sa capacité pratique à les "traquer" par les expérimentations les plus variées.
*
L'histoire de la science occidentale est comparable à celle d'un livre dont l'auteur aurait oublié les pages à mesure qu'il les écrivait, tout absorbé par l'excitation du chapitre en cours. Privée de cette adhésion minimale à elle-même, elle s'est condamnée jusqu'ici à une forme d'éternelle adolescence, orpheline de sa propre intelligence, de son intention même.
Ce déni obstiné de ses origines ne saurait empêcher la science physique d'être reconduite tôt ou tard, de manière inéluctable, vers le foyer de ses origines. Aspirée par cette table de la loi qu'est le principe de symétrie, avec comme associé le principe d'invariance et de conservation, formulé pour la première fois par Empédocle dans le fragment qui nous a servi ici de guide, la physique quantique apparaît déjà comme un véritable "zoo" de structures pythagoriciennes, parmi lesquelles on peut relever, en théorie des quarks, la structure tétractyque du baryon de spin 3/2, comme l'ensemble organique de structures auquel elle est rattachée, ou encore, en théorie des cordes, la dimension "gnomonique" 496 des groupes de symétrie SO (32) et E8 x E8, impliqués dans les différentes versions de cette théorie, signalée sur ce blog par Stephen Phillips, - sans même mentionner la "décadimensionnalité" de cette même théorie.
baryon de spin 3/2
Mais de tels sujets, comme on le voit, nécessiteraient une étude plus développée, qui nous entraînerait trop loin du point de vue principalement mathématique auquel nous entendions, autant que possible, nous limiter ici.
(1) Voir : L'invention de la théorie musicale.
(2) Sur la musique pythagoricienne en général, aussi bien sur le plan de la résolution des questions techniques, que sur celui de l'exégèse symbolique et ésotérique, les travaux pionniers de Jacques Chailley sont incontournables.
(3) Sachant que l'infini, à son entrée, est étroit "comme le cul d'une mouche", l'ésotérisme a lui aussi, en pythagorisme, son moment opportun. D'où l'injustice du reproche adressé à Pythagore par divers ignorants, de "tout mélanger", - reproche qui pourrait souvent leur être retourné, avec plus de raison. Cette réserve faite, le pythagorisme est une initiation scientifique, dont les conclusions métaphysiques ne diffèrent pas de celles d'autres formes d'initiation existantes.
(4) Voire encore, par une voie qui est plus ésotérique, mais non moins scientifique que les autres, en tant que parole ou action verbale.
(5) La mort des êtres vivants étant considérée comme une dissociation, sans perte absolue. Mourir, c'est partir en morceaux, dont chacun, selon sa nature, est susceptible d'être "réemployé" dans une autre configuration.
(6) Compte tenu de l'incompréhension assez générale dont témoigne, sur ce sujet, la critique historique et philosophique, il n'est peut-être pas inutile de préciser que les éléments : feu, air, terre, eau, dont chacun de nous a l'expérience, ne sont pas, pour Empédocle, les bases ou les constituants ultimes de la réalité physique du monde, mais seulement leur reflet ou leur réverbération symbolique (au sens le plus technique) au sein du "mésocosme" habité par l'homme, comme l'exprime avec justesse la première de ces opinions d'Aétius, et beaucoup plus maladroitement la seconde : "Empédocle déclarait qu'antérieurement aux quatre éléments, (c'est nous qui soulignons) il existe des fragments infiniment petits, qui sont pour ainsi dire des éléments homéomères précédant les éléments." "Empédocle et Xénocrate pensent que les éléments sont constitués par l'assemblage de masses plus petites, qui sont des minima et pour ainsi dire des éléments des éléments." - Sauf qu'à l'échelle du mésocosme humain, les quatre éléments en question ne sauraient, en aucun cas, être considérés comme des agrégats de particules "homéomères", mais seulement comme la réapparition, comme une "résurgence locale" des différents états possibles de la matière, c'est-à-dire des différentes possibilités de cohésion ou de cohérence formelle qui lui préexistent, précisément, à l'échelle microcosmique qui est celle de la constitution des particules élémentaires - elles seules "homéomères". Malheureusement, la doxographie d'Empédocle ne s'est jamais affranchie de la tutelle d'Aristote qui, bien que surtout préoccupé de défendre, pour la malchance des siècles futurs, les bégaiements infantiles de son propre système cosmologique, est néanmoins parvenu à imposer à la plupart des commentateurs ultérieurs sa perception bornée et caricaturale de la pensée du Sicilien.