• La tradition du nombre 515 : Dante, Dürer, Jorge Alfonso

     

     

     

    LA TRADITION DU NOMBRE 515 :

     

     DANTE, DÜRER, JORGE ALFONSO

     

     

     

    Au 33e chant de son purgatoire, Dante place dans la bouche de Béatrice la prophétie suivante :

     

    « car je vois à coup sûr – et si, l'annonce -

     tels astres, francs d'achoppail et encombre,

     proches déjà de nous donner bon temps,

     où mû par Dieu un cinq cent dix et cinq

     viendra occire enfin la larronnesse

     et le géant qui fornique avec elle. »

     

    Cette prophétie conclut un long récit symbolique commencé au chant 32, où Dante, conduit par Béatrice et plongé dans un état léthargique, est saisi d'une série de visions touchant le destin de l'église, et sa lutte avec la puissance temporelle de l'Empire.

     

    La prophétie reprend, en la précisant, une prédiction formulée par Virgile dès le premier chant de l'enfer, qui donne d'autres indications sur la nature de cet « envoyé de Dieu » auquel s'identifie le 515.

     

    Harcelé par une Louve, symbole traditionnel de l'avarice qui, dans la comédie, symbolise la Rome des papes, cause des malheurs du poète, Dante demande protection à Virgile contre les assauts de cette bête, et ce dernier lui répond :

     

    … cette bête ici, pour quoi tu cries,

     ne laisse homme passer par ses chemins,

     mais si fort le guerroie qu'elle le tue ;

     et sa nature est si mauvaise et felle

     que jamais ne s'emplit sa convoitise,

     et repue elle a faim plus que devant.

     A vingt et trente mâles elle s'accouple ;

     ains, plus seront, tant que vienne le Vautre

     qui la fera mourir à grand douleur.

     Cil ne paîtra ni terraile ni peautre,

     mais sapience et amour et vertu,

    et sera né entremi fautre et fautre.

     De l'humble Ytaille il sera le salut

     pour qui mourut Camille la pucelle,

     Nisus, Turnus et Euryal navrés.

     Cestui la chassera par toute ville

     atant qu'il l'ait remise dans l'enfer

     là d'où Envie jadis la débûcha. »

     

    Avant même que cette hypothèse ne soit confirmée par un examen du texte de Dante, le nombre 515 associé à la figure du l'envoyé de Dieu, a été rapproché du nombre 666, qui dans l'apocalypse, désigne la « bête », annonciatrice du règne de l'antéchrist. Et de fait, toute la vision du chant 32 du purgatoire apparaît comme une reprise, ou comme un prolongement de la prophétie Johannique.

     

    Dans la vision de Dante, le char de l'église, d'abord conduit par Béatrice (représentant ici la grâce divine), est attaché à un arbre - qui fleurit - avant de subir les assauts d'un aigle, d'un renard et d'un dragon. L'aigle représente la puissance impériale. En attaquant le char, l'aigle lui laisse « des plumes » de sa puissance ; le char se transforme en un monstrueux char-à-plumes ; une putain et un géant en prennent possession et l'emportent.

     

    Cette vision semble calquée sur l'apocalypse où, comme l'a remarqué Auberlen, la femme du chapitre 12, symbole de l'Eglise, reparaît au chapitre 17 comme prostituée, parce que l'Eglise est devenue infidèle à son Epoux en s'alliant au pouvoir civil.

     

    Et de même manière que l'arrière plan historique de l'apocalypse concerne, très généralement, la persécution des chrétiens et l'annonce, à vocation consolatrice, de la chute et de la destruction de l'Empire romain, la vision du chant 32 du purgatoire narre les tribulations de l'Eglise confrontée à l'empire romain-germanique, auxquelles doit mettre fin la venue du Lévrier justicier « envoyé de Dieu ».

     

    Ces parallèles assez transparents en eux-mêmes, ont été confirmés de manière éclatante par les recherches philologiques de Rodolfo Benini, qui remarque :

     

    « Dante a imaginé de régler les intervalles entre les prophéties et autres traits saillants du poème, de manière que ceux-ci se répondissent l'un à l'autre après des nombres déterminés de vers, choisis naturellement parmi les nombres symboliques. (…) Et voici apparaître les fameux 515 et 666 dont la trilogie est pleine: 666 vers séparent la prophétie de Ciacco de celle de Virgile, 515 la prophétie de Farinata de celle de Ciacco ; 666 s'interposent de nouveau entre la prophétie de Brunet Latin et celle de Farinata, et encore 515 entre la prophétie de Nicolas III et celle de messire Brunet. »

     

    On retiendra de ces remarques que le nombre 515 se présente comme opposant bénéfique au nombre maléfique 666 ; l'alternance de ces nombres dans le poème pouvant symboliser le déroulement d'une lutte apocalyptique dans laquelle les deux principes dominent à tour de rôle, jusqu'à la victoire finale du principe du bien.

     

    Mais avant d'aller plus loin dans l'examen des prophéties de Dante et du mystérieux élu qui en est l'objet, il sera bon de revenir au texte de l'Apocalypse, qui est sa principale source d'inspiration.

     



     

    La bête de l'Apocalypse

     

    On omet souvent de remarquer que, dans l'Apocalypse, la venue de la Bête est saluée comme un événement favorable, qui doit permettre la survenue d'un événement heureux. Les deux événements sont liés dans les versets 9 et 10 du chapitre XII.

     

    9 Il a été jeté le grand dragon, l'antique serpent qu'on appelle le diable et le Satan, lui qui égare tout le séjour, il a été jeté sur la terre et ses anges ont été jetés avec lui.

     

    10 Et j'ai entendu une grande voix dans le ciel, elle disait : C'est maintenant le salut, la puissance et le règne de notre Dieu et le pouvoir de son Christ, car il a été jeté l'accusateur de vos frères qui les accusait jour et nuit devant notre Dieu.

     

    De la même manière exactement, la révélation du « chiffre de la bête » au dernier verset du chapitre XIII, est immédiatement suivi par la vision de l'Agneau debout sur le mont Sion au premier verset du chapitre XIV :

     

    XIII, 18 Ici est la sagesse : Que l'intelligent calcule le chiffre de la bête car c'est un chiffre d'homme et ce chiffre est six cent soixante-six.

     

    XIV, 1 Et j'ai vu, et voici l'agneau debout sur le mont Sion et avec lui cent quarante-quatre mille qui ont son nom et le nom de son Père écrits sur leur front.

     

    Non seulement le parallélisme est confirmé entre la venue de la bête et l'établissement du règne du Christ, mais le nombre maléfique 666 se voit clairement opposé un nombre « bénéfique » : les 144 « myriades » qui composent l'armée des élus du Christ.

     

    Le nombre 144 est considéré comme symbolisant la plénitude, en ce qu'il est le carré de 12

     

    144 = 12 x 12

     

    Le nombre 12 se réfère aux 12 tribus d'Israël dont sont extraits les élus ; mais il peut aussi se référer aux 12 apôtres du Christ. Le produit 12 x 12 pouvant dès lors exprimer l'union de l'ancien et du nouveau testament, et l'accomplissement complet de la prophétie.

     

    Sur le plan mathématique, on peut remarquer que 144 est également le 12ème nombre de Fibonacci.

     

    Il peut donc être représenté comme le sommet d'un lambda à 12 étages, dont les jambes seraient respectivement formés par la série des nombres carrés, et celle des nombres de Fibonacci.

     

    Cette remarque prendra tout son intérêt plus loin, lorsque nous aurons à évoquer le nombre 55.

     

    Mais en attendant, on peut remarquer que le nombre 144 peut s'exprimer de la manière suivante :

     

    (6 + 6) x (6 + 6)

     

    Sous cette forme, on admettra que ce nombre bénéfique présente un troublant air de ressemblance avec le nombre « maléfique » qui est celui de la bête. Les deux nombres semblent plutôt des complémentaires, exprimant l'un comme l'autre l'alignement des planètes, ou la complétude des temps. Le second nombre étant le correspondant « dans l'ordre supérieur » (L'agneau debout sur le mont Sion, représentant symboliquement « le point le plus élevé de la terre ») de l'événement advenu dans l'ordre inférieur (le serpent jeté « sur la terre »).

     

     

    Nombre des élus (6 + 6) x (6 + 6)

     

    Nombre de la bête 6 6 6

     

    Mais nous allons voir à présent que cette apparence de complémentarité sur le plan symbolique peut être doublée par une réelle complémentarité mathématique, extrêmement précise et signifiante.

     

    On a remarqué en d'autres occasions que les nombres palindromes pouvaient être vus comme des exemples particuliers d'une fonction palindromique plus générale, qui concerne elle « toute formule arithmétique qui demeure inchangée pour une rotation de 180 degrés sur elle même », ou encore, qui possède dans sa structure la symétrie du miroir.

     

    De cette manière, un nombre palindrome peut être envisagé comme un « formulaire » qui peut être décliné de plusieurs manières, autres que le seul agencement décimal des chiffres arabes ; la formule 666 pouvant par exemple être interpretée comme :

     

    6 + 6 + 6

    ou

    6 x 6 x 6

     

     

    En adoptant pour le texte de l'Apocalypse cette dernière option, la complémentarité du nombre de la Bête et du nombre de l'Agneau devient beaucoup plus bavarde.

     

    En effet 6 x 6 x 6 = 216

     

    Nombre dont on a vu qu'il correspondait au cycle des réincarnations de Pyhagore, d'une part, mais aussi au développement gnomonique tridimensionnel des trois cubes adjacents au triangle Isiaque, formule qui correspond à un développement externe des équations de Pythagore où d'une part

     

    33 + 43 = 53

     

    mais en outre :

     

    33 + 43 + 53 = 63 = 216

     

    En adoptant pour nombre de la bête le nombre 216, on remarque immédiatement que :

     

    216 + 144 = 360

     

    Les nombres 144 et 216 deviennent ainsi des valeurs angulaires, et le nombre 216 correspond très exactement à « ce qui manque à l'angle 144, pour compléter le cercle 360 ».

     

    Si l'on définit dans un cerle, à partir de son centre, un angle dont les mesures, intérieure et extérieure, sont égales à 144 et 216 degrés, on obtient une division de la circonférence selon le rapport 2/3, à partir de laquelle il est aisé, en comblant les intervalles, de retrouver les trois sommets complémentaires du pentagone régulier. Ces trois sommets complémentaires, reliés entre eux, forment un triangle d'or aigu.

     

    Ces valeurs angulaires 144 et 216 sont d'ailleurs loin d'être des inconnues, puisqu'on dérive d'elles toute la symétrie du pentagone, comme celle du nombre d'or et des pavages de Penrose.

     

    On les retrouve en particulier dans le rhombe de penrose, qui est un losange d'or décomposable en 2 pièces, la paire « kite and dart » (fléchette cerf-volant) permettant de construire de nombreux pavages de Penrose, ou encore en 4 pièces – fléchette et cerf-volant se décomposant à leur tout en 4 petits triangles d'or, aigu et obtus.

     

    Poursuivons.

     

    Le rapport 144 / 216 est égal au rapport 2/3. Autrement dit, au rapport générateur du Lambda de Platon, qui met en relation « les deux premières réalités issues de l'un ». Aussi étrange que cela puisse paraître, la lutte de la Bête et de l'Agneau apparaît ainsi comme un renouvellement de la hiérogamie de la création.

     

    Poursuivons.

     

    Dans l'apocalypse, les 144 000 élus sont encadrés par 4 animaux qui tout au long de l'Apocalypse, symbolisent « Les 4 directions, les 4 vents, etc » Autrement dit le partage d'une aire quelconque en quatre quartiers divisionnaires. Cette image suggère immédiatement de diviser en 4 la procession des élus.

     

    144 / 4 = 36

     

    Les élus se répartissent donc en 4 cohortes, dont chacune correspond à une division décimale du cercle 360.

     

    Si l'on assimile la plénitude du cercle 360 à la plénitude de la tétractys, alors, le nombre 144, nombre de l'Agneau, peut être associé au trépied de la tétractys, qui est pour ainsi dire sa colonne vertébrale, son axe majeur, et le nombre 216, nombre de la bête, à l'hexagone tournant autour de ce trépied.

     

    Dans cette tétractys, tout est hexagonal au premier regard. La répartition des points du plan est hexagonal, et les valeurs des éléments (36) et du tout (360) empruntées au système sexagésimal.

     

    Cependant le rapport numérique entre les deux éléments constituants, trépied et hexagone, 4/6 (égal à 2/3), est lui, comme on l'a vu, virtuellement pentagonal. On a là une illustration particulièrement importante d'un principe qu'on rencontre ailleurs sous d'autres formes est qui peut s'énoncer « la présence du pentagonal au cœur de l'hexagonal ».

     

    On remarque que le rapport 2/3 est omniprésent dans les pavages de Penrose dont il est un trait caractéristique. Exemples, le rhombe de Penrose constitué de 4 obtus, 6 aigus (qui est un analogue strict de la répartitition trépied hexagone de la tétractys) ou encore cette très belle construction appelée « soleil », composée de 100 pièces : 60 kites et 40 darts.

     

    Qu'est-ce que la nature ?

     

    On remarque enfin que les Nombres 144, 216 et 360 sont tous multiples de 9. Donc, en plus d'induire la division du cercle 360 en 5 parties, correspondant aux sommets d'un pentagone, ils sont placés sous la puissance « unificatrice » du nombre 9 (associée à la conservation de l'unité dans les multiples), ce qui les rend apte a exprimer les caractères généraux de la condition spatio-temporelle.

     

    On voit bien que, dans cette conception le drame historique de l'apocalypse n'est qu'un prolongement du drame de la nature. Son déroulement est régi par les mêmes nombres, les mêmes figures et les mêmes lois.

     

     

     

    Les autres nombres clés de la Comédie

     

    Selon Benini, il y aurait pour Dante trois couples de nombres ayant une valeur symbolique par excellence : ce sont 3 et 9, 7 et 22, 515 et 666.

     

    René Guénon tombe d'accord avec analyse, et ne s'en écarte que pour le nombre 22, qui ne lui semble important qu'en tant que multiple du nombre 11, plus essentiel, et dont d'autres multiples (33 et 99) jouent dans l'oeuvre un rôle tout aussi important que le nombre 22.

     

    Même si nous suivons Guénon, on peut remarquer en faveur de Benini que le nombre 22 s'inscrit dans la droite ligne de la tradition apocalyptique, les 22 chapitres de l'Apocalypse n'étant pas plus arbitraires que les 99 chants de la comédie ; d'autant plus que (cette fois-ci en faveur de Guénon), l'oeuvre comporte une division binaire nettement marquée, qui fait apparaître, dans son plan en 22 chapitres, une division 11+11. Ces 22 chapîtres pouvant, bien évidemment, être rapprochés des 22 lettres de l'alphabet hébreu...

     

    Mais revenons à Guénon qui précise :

     

    La vérité, c'est que le nombre 11 jouait un rôle considérable dans le symbolisme de certaines organisations initiatiques... En dehors des significations diverses qui peuvent s'attacher à lui, l'emploi qu'en fait Dante constituait un véritable « signe de reconnaissance », au sens le plus strict de cette expression.

     

    Il est aujourd'hui accepté que Dante était rattaché à diverses organisations initiatiques de filiation templières, comme la fede santa et les fidèles d'amour, dans lesquelles le nombre 11, comme le pentagramme, constituait un signe de reconnaissance.

     



     



     

    Approches du nombre 515 : les nombres 11 et 55

     

    11

     

    Si nous nous arrêtons au nombre 11, c'est qu'il constitue la clé d'une première lecture du nombre 515, fondée sur l'addition de ses éléments constituants.

     

    5+1+5 = 11

     

    Dans cette interprétation, la dizaine formée par les nombres 5+5 peut être assimilée aux 10 points de la tétractys, ou encore aux 10 sephirot, tandis que le nombre 1 situé au milieu (correspondant lui aussi à une dizaine), peut être assimilée, à la onzième sephira, ou encore au « tout » de la tétractys, à la totalité unitaire et indivise dont ses parties procèdent.

     

    De telles interprétations semblent autorisées par la tradition ; et l'on relève notamment dans le sepher yesirah cette formule qui semble évoquer matériellement le 515 :

     

    « …. »

     

    55

     

    On peut remarquer maintenant que le nombre 55, outre que la somme de ses chiffres donne 10, présente une relation bien plus profonde avec le nombre 10, puisque 55 est à la fois le 10ème nombre triangulaire et le 10ème nombre de Fibonacci. 55 est donc le sommet d'un Lambda à dix étages dont les deux jambes correspondent respectivement à la série des nombres triangulaires et à celle des nombres de fibonacci.

     

    On s'aperçoit que ce Lambda est le complémentaire, ou encore le symétrique de celui que l'on a vu tout à l'heure, qui coordonne les nombres de fibonacci aux nombres carrés, cette fois, de part et d'autre du sommet 144. Les deux lambdas peuvent être disposés l'un vis à vis de l'autre, les nombres « triangles » et « carrés » se déployant de part et d'autre d'un axe vertébral, formé par les nombres de Fibonacci.

     

    Qu'est-ce que la nature ?

     

    En plus des rapports de symétrie « bilatérale » entre configurations gnomoniques (triangle / carré), on doit remarquer une symétrie entre le centre et les bords de la structure, symétrie qui concerne la forme même des fonctions mathématiques associées à ces suites.

     

    Loi A. « Deux nombres triangles successifs donnent un nombre carré » Axiome dont la réciproque est « tout nombre carré supérieur à 1 est la somme de deux nombres triangles successifs ».

     

    Loi B. « Deux nombres de Fibonacci successifs donnent un nombre de Fibonacci ».

     

    Alors que les suites des nombres triangles et carrés peuvent être regardées comme « coengendrées », en ce que chacune peut être engendrée par une relation avec l'autre, la suite des nombres de Fibonacci est elle « auto-engendrée », particularité qui correspond à sa situation « axiale ».

     

    D'autres structures mathématiques pourraient, complémentairement, être greffées sur la jambe gauche, puisque les nombres carrés sont les principes des équations de pythagore basées sur des triplets de nombres entiers, - équations qui, elles mêmes, sont susceptible d'opération d'exhaustion tridimensionnelle (gnomoniques), d'une part, mais en outre, de développement ou d'extension externes, dans lesquelles les 3 côtés du triangle sont ressaisis ensemble pour être rapportées à une réalité de dimension supérieure, qui les enveloppe. On voit donc que ce « lambda gnomonique » constitue un véritable paradigme, et comme un point d'ancrage pour le développement de ces appareils plus sophistiqués de la mathématique pthagoricienne que sont : la théorie du gnomon, et les équations de Pyhagore, à travers les deux triangles paradigmatiques de la nef.

     

    On aperçoit déjà par ce chemin que le nombre 55 peut être considéré comme un « remplaçant » naturel du nompbre 144, en tant que principe bénéfique opposé à la Bête. Le nombre 144 se rattache au nombre 12, le nombre 55 au nombre 10 ; les nombres 10 et 12 exprimant chacun une forme différente de complétude, leur couple pouvant être vu comme le développement, ou l'avatar du nouage 5/6, pentagone / hexagone dont on a déjà envisagé diverses modalités.

     

    Il nous reste à comprendre en quoi le nombre 515 constituait un meilleur candidat encore que le nombre 55.

     

     

    Le 515 : saturation de la fonction miroir

     

    Lima de Freitas a consacré au symbolisme de nombre 515 une importante étude, dans laquelle il reconstitue, à travers l'histoire de l'art et de la littérature, une partie de la tradition ésotérique associée ce nombre.

     

    Il a d'emblée placé son étude sous l'angle adéquat, qui consiste à mettre au premier plan la nature palindromique de ce nombre, qui en fait une illustration parfaite de la fonction symbolique du miroir.

     

    La fonction du miroir possède une relation évidente avec la connaissance, la science, qu'elle soit entendue au sens usuel ou au sens religieux et mystique. De Freitas illustre cela par ces citations en exergue de son livre, qu'il nous est agréable de citer in extenso, dans la mesure où elles ne sont pas seulement, pour celui qui en use, des illustrations, mais plutôt des attestations ou des preuves d'un chemin parcouru.

     

    Cette connaissance intuitive qui est la plus haute des connaissances, celle des mystiques et des Fidèles d'Amour, ne peut se comprendre que lorsque l'on a postulé ce monde intermédiaire, ce lieu du miroir où s'expérimente la réalité imaginale. (G. Durand)

     

    Dieu est ton miroir, c'est-à-dire le miroir dans lequel tu te contemples toi-même, et toi, tu es son miroir, c'est-à-dire le miroir dans lequel il contemple les Noms divins. (Ibn 'Arabi)

     

     

    Le nombre 515 peut être regardé comme une saturation ou une mise en abime de la fonction du miroir.

     

    On peut poser qu'un palindrome doit posséder 3 termes au moins (mais il n'a pas besoin d'en avoir d'avantage) pour exprimer la fonction du miroir dans toutes ses potentialités, à savoir, il doit comporter un être, son reflet, et un « milieu » qui est le pivot immobile, et qui, de par sa situation axiale et intermédiaire, peut être assimilé à la surface du miroir lui même.

     

    Mais on comprend bien que lorsque ce milieu est l'unité, la force ce cette analogie est renforcée, puisque la fonction du miroir peut alors être assimilée à un objet ponctuel, minimal, et sans épaisseur, la forme même du chiffre 1 qui est celle d'un axe vertical, constituant un redoublement de cette analogie. La fonction d'axe et de pivot qui est celle du centre du palindrome, répond à la nature « ponctuelle » du nombre 1.

     

    En second lieu, on peut remarquer que dans le nombre 515, non seulement la partie gauche se reflète dans la partie droite, et inversement, mais en outre, ces deux parties, ensemble, se reflètent dans l'unité qui est au centre (dont on doit se souvenir qu'elle correspond à une dizaine) ; ou inversement, c'est l'unité centrale et intérieure qui se reflète dans ces deux parties extérieures, qui peuvent apparaître comme l'expression, comme l' extériorisation des potentialités que cette unité recèle.

     

    On voit que ce symbole prend immédiatement une dimension cosmique, dans laquelle l'unité centrale représente, l'axe du monde, le moteur immobile, le principe ponctuel infini de la manifestation universelle, et les deux 5, la dualité première, le macrocosme et le macrocosme, ou encore les spires de la manifestation universelle. Le nombre 5 avait souvent au moyen âge la même graphie que la lettre S, et l'on verra tout à l'heure que ce symbolisme graphique venant en soutien du symbolisme mathématique sera utilisé par des artistes comme Durer et Jorge Alfonso, tous deux représentants de la tradition ésotérique du 515, et affiliés à des organisations héritières de celle de Dante.

     

    En tant que symbole cosmologique universel, le 515 peut être rapproché de deux autres symboles empruntés à la tradition pythagoricienne.

     

    Analogie avec pentagramme. On peut paramétrer un pentagramme où les 5 points du pentagone extérieur (macrocosme) sont affectés de la valeur 100, les 5 points du pentagone intérieur (microcosme) de la valeur 1, tandis que le point central, qui est le centre des deux figures (de la même manière que la dizaine occupe une position « médiane » entre les centaines et les unités) est affectée de la valeur 10. De cette manière on obtient pour le pentagramme la valeur 515.

     

    Analogie avec la nef. Dans la nef, on a, schématiquement, un « petit 5 », un « grand 5 », et en troisième lieu « la dizaine qui les sous tend », dizaine qui a, schématiquement, la forme d'un arc auquel les deux segments de valeur 5 sont rattachés par leurs extrémités. Où l'on peut voir à nouveau une analogie frappante avec le 515 ; toutefois, cette dernière analogie recèle une signification mathématique qui demande être développée de façon plus précise.

     

     

    Le 515 et les équations de Pythagore

     

     

    Une remarque mathématique de Lima de Freitas, relative au sujet même qui nous occupe, revêt une importance non moindre que celle qui concerne la fonction du miroir.

     

    De Freitas semble avoir eu dès le départ l'intuition que le sens profond du 515 devait être recherché dans le théorème de pythagore et le triangle isiaque.

     

    Il remarque :

     

    Si l'on inscrit (le triangle isiaque 3-4-5) dans un cercle, on s'aperçoit aussitôt qu'il est possible d'en inscrire un deuxième, mais qu'il n'y a de place que pour deux triangles. Cette duplication entraîne la superposition des hypoténuses, c'est-à-dire de côtés de valeur 5 des deux triangles. Nous avons donc, dans ce schéma, un diamètre de la circonférence où les deux hypoténuses coïncident ou se confondent, c'est-à-dire dont la valeur devient double, soit 2 x 5 = 10, l'équivalent de l'unité. Tout ceci a été expliqué par Jean Tourniac (…) mais ce que Tourniac n'a pas vu, c'est l'émergence, à partir du triangle doublé, du nombre du Messo di Dio 515. En effet si nous poursuivons la mise au carré des côtés 3 et 4 des triangles inscrits, nous obtenons le nombre 25 de chaque côté de l'hypoténuse commune ; l'extraction de la racine carrée de ces trois nombres : 25, 1 et 25 fournit 5, 1 et 5, autrement dit, le chiffre de l'envoyé de Dieu : 515.

     

    Qu'est-ce que la nature ?

     

    Nous n'émettons de réserve que sur la manière dont de Freitas procède pour rapporter l'hypoténuse diamétrale de valeur cinq à l'unité, en supposant que les deux hypoténuse s'additionnent pour former le nombre 10, lui-même réductible à l'unité.

     

    Même si le fait de considérer le 1 central du nombre 515 comme à la fois équivalent à la dizaine ou à l'unité est légitime dans l'exegèse symbolique de ce nombre, elle nous semble indue dans cette application particulière au théorème de pythagore.

     

    En effet, nous pensons que, dans ce type d'exégèse, une opération arithmétique doit toujours être associée à l'opération géométrique qui lui est réellement analogue. Ainsi de la même manière que l'opération « construire un carré » sur un côté du triangle rectangle, équivaut rigoureusement à l'opération d'élever au carré le nombre correspondant à ce côté, de même, il nous semble que l'opération de mise en contact des deux hypoténuse de valeur 5 est l'analogue naturel, non pas de l'addition de ces longueurs, mais de leur mise en rapport rationnel, analogue à l'expression arithmétique 5/5. Cela ne change rien au résultat, qui demeure égal à 1 ; mais cette manière de l'interpréter ne nous semble pas seulement plus naturelle, mais elle revêt de bien plus importantes conséquences mathématiques.

     

    En effet, s'il avait appliqué au triangle aurigène 1-2-racine5 le même traitement que celui qu'il applique au triangle isiaque, De Freitas se serait aperçu qu'on obtient, cette fois, non pas des nombres « dont les racines composent le nombre 515 », mais tout bonnement le nombre 515 lui-même.

     

    Le théorème de pythagore se revèle alors être le medium, ou le module, grâce auquel la nef se transforme en un char doté de 2 roues, dont l'une, la roue aurigène de valeur 5-1-5, correspond à la RACINE de l'autre, la roue isiaque, de valeur 25-1-25. Et l'on peut remarquer parallèlement que, d'un point de vue angulaire, le triangle aurigène peut être également regardé comme la « racine » ou la « matrice » du triangle isiaque, puisque leurs angles respectifs par rapport à l'axe horizontal sont dans le rapport « double », ou « d'octave ».

     

    Sous cet éclairage, l'appareil forme réellement un tout. En effet le triangle isiaque est déjà « premier » eu égard à son statut dans la série des triplets pythagoriciens, mais ici il est coordonné à un jumeau, un double, né avant lui, qui peut lui même être entièrement caractérisé par la qualification de « racine », ou de « matrice » du « premier ».

     

    Il nous semble impossible d'aller plus loin dans l'exégèse mathématique du nombre 515.

     



     

    L'arrière plan historique et spirituel de la prophétie

     

    Suite aux découvertes de Benini, les travaux de René Guénon, Louis Barmont et Lima de Freitas ont mis en lumière l'arrière plan historique et spirituel qui permet de comprendre les attributs et la mission de l'Envoyé de Dieu. Deux événements sont à mettre en relief.

     La destruction de l'ordre du temple dans les années 1310-1314. La fonction de guide spirituel dévolue à Saint Bernard dans la comédie montre assez la dévotion que Dante témoignait à ce personnage. Il ne fait pas de doute que, à travers toute l'Europe, pour de nombreux initiés d'obédience templière, la disparition de l'Ordre a dû résonner comme un événement apocalyptique. La catastrophe de l'ordre étant contemporaine de la rédaction de la comédie, elle a conduit Dante à porter des retouches à son texte, pour apporter une réponse prophétique aux événements les plus récents.

    En arrière plan de ces événements dramatique, la prédication de Joachim de Fiore, encore très vivace dans les mémoires, sa théorie des trois âges de l'humanité et son annonce de l'instauration prochaine de l'Empire du Saint Esprit.

     

    Ces circonstances historiques constituaient un climat propice à l'apparition de nouveaux messianismes.

     

    La situation historique et psychologique de Dante était, au fond, très comparable à celle qui se dégage de l'apocalypse, d'après les lettres que Jean adresse aux fidèles des sept eglises. La visée de ces deux prophétie est avant tout consolatrice, et répond à une situation d'adversité et de détresse exceptionnelle.

     

    Dante avait une conception toute personnelle de l'Empire, exposée notamment dans sa monarchie, dont les racines plongent dans la tradition italique, l'ancien pythagorisme romain et l'oeuvre de Virgile.

     

    Le qualificatif de « lévrier » - à l'époque un chien de chasse – dévolu au 515, sa mission de Justicier et de redresseur de tort, (« sauveur d'Italie ») lui confèrent des attributs « martiaux » qui pourraient faire penser à ceux d'un « condottierre » ; tous ces caractères s'inscrivent, naturellement, dans cette conception de l'Empire.

     

    Mais d'autre part, comme l'a remarqué de Freitas, le combat dont il s'agit est essentiellement spirituel. Le « redressement » historique symbolisé par la venue du 515 doit donc se situer principalement sur ce plan là, conférant à l'envoyé de Dieu une mission de conversion à l'Esprit Saint. Le 515 a donc aussi des caractères de prêtrise : ceux d'un « redresseur » et un « convertisseur », capable de « retourner les coeurs » vers Dieu.

     

    Deux œuvres d'art exceptionnelles témoignent de la survivance de la tradition ésotérique du 515, deux siècles après l'époque de Dante.

     



     

     

    La Melencolia de Dürer

     

     

    IV. La tradition du nombre 515 (a) : Dante, Dürer, Jorge Alfonso

     

    De nombreuses études ont été consacrées au célèbre burin de Dürer. Parmi celles-ci, l'étude de Louis Barmont se distingue par certain caractère d'autorité, comme par son style étonnamment sacramentel, qui semble imiter celui de la gravure, et se nourrir de connaissances initiatiques directes, comparables à celles dont disposait Dürer.

     

    En préambule, Barmont commence par fixer deux points qui étaient sujets à controverse.

     

    L'astre qu'on voit voit dans le ciel n'est ni un « soleil noir », ni une planète, mais une comète observée dans le ciel de l'Europe entre 1513 et 1514.

     

    Les objets représentés en haut à droite, balance, sablier, évoquent l'accomplissement des temps et la fin d'un cycle. Pour Barmont, la melancolia, « humeur noire », qui est le quatrième tempérament de la médecine grecque, renvoie implicitement à « l'âge sombre », autrement dit à l'âge de Fer ou au Kali-Yuga qui, dans les doctrines traditionnelles, est le quatrième âge de l'humanité. Mais la date de 1514 figurant dans le carré magique associe cette vision de la fin des temps à la commémoration d'événements tragiques qui en apparaissent comme les précurseurs : en effet, c'est en 1314 qu'eut lieu « le dernier acte de la tragédie templière ».

     

    L'animal couché au pied du grand ange n'est pas un mouton, mais un lévrier ; et « nous ajouterons sans plus tarder que ce lévrier n'est autre que le Veltro dantesque, le Cinq-Cent-dix-et-cinq attendant l'heure de la lutte suprême contre la Louve antéchristique, assimilée au Six-cent-soixante-et-six du Théologien. » Barmont effectue une série de rapprochements entre la fonction du Veltro, telle que décrite par Dante, et diverses figures messianiques, empruntées à différentes traditions ; et il remarque que la fonction de cet envoyé de Dieu est double : d'une part, la conversion, la soumission volontaire des cœurs à la volonté divine, et d'autre part, la conduite de la lutte finale des orthodoxes contre les hétérodoxes... selon un scenario semblable à celui de l'Apocalypse. La fonction du 515 est donc à la fois martiale et sacerdotale.

     

    Penchons-nous à présent sur la gravure. On peut remarquer qu'elle se laisse décomposer en trois parties, assez nettement distinctes. A droite, deux anges, entourés de toutes parts par une multitude d'objets aux connotations symboliques puissantes. A gauche, trois éléments de dimensions plus importantes que les objets de la partie droite, le solide, le lévrier et la sphère, qui semblent liés entre eux par une relation spécifique. Enfin, en haut à gauche, un événement astral effrayant, qui semble se dérouler dans l'espace-temps « ordinaire. » Cette disposition rappelle la doctrine des « trois mondes » ; et à ce sujet nous mentionnerons ces remarques, que nous devons à notre ami Walter Grimm

     

    Je me demande si la séquence (astre lumineux - arc-en-ciel - chauve-souris) ne doit pas être rapportée à un plan différent de la première (solide – chien – sphère), symétrique, mais plus extérieur.

    Dans ce cas là, on aurait :

    Dans le monde informel : Les causes réelles et immuables de l’événement, occupant toute la partie droite de la gravure (anges, balance, sablier, carré magique, clochette).

    Dans le monde subtil ou intermédiaire : L'opération adéquate autorisant l'actualisation de l'événement. C'est-à-dire, principalement la séquence [solide - chien – sphère].

    Dans le monde extérieur : L'effet de l'opération : la séquence [ astre lumineux - arc-en-ciel - chauve-souris

     

    L'astre est bien évidemment lumineux et c'est lui qui agit de manière apparemment désagréable sur la chauve-souris mélancolique, contrairement à ce que suggère l'article wikipedia dont nous avons déjà parlé, avec l'appellation singulièrement inapproprié de satellite sombre.

    Entre ces trois plans, une échelle à 7 barreaux...

     
    Si l'on raisonne en terme de degrés d'intériorité, ou d'imbrication : 1 < 2 < 3 (ce que l'environnement des symboles semble prouver suffisamment)

     

    Suivant cette interprétation, on remarque que les « causes subtiles » jouent un rôle de médiation entre les causes informelles et les causes grossières, exprimant les conditions de leur actualisation ; tandis que, à l'intérieur même de ces causes subtiles, le lévrier joue lui même un rôle semblable de médiation entre deux états ; par là il devient le véritable centre de l'ensemble des « opérations » décrites par la gravure, conformément à la fonction du 515.

     

    Dans un série de commentaires rédigés au début des années 2010, Aliboron remarquait au sujet du chien :

     

    Une simple assonance, en langue arabe, entre Kalb (chien) et Qalb (coeur)...  m'a mis la puce à l'oreille.

     

    (...) dans le même champ sémantique et sémitique, en arabe coranique la racine trilitère QLB, qui donne le mot qalb-coeur, signifie retourner. Et Dieu est dit être « Celui qui retourne les coeurs ». 

     

    Et il mentionne à ce sujet une doctrine cabalistique :

     

    « Le Leb, le Coeur : L'Univers tout entier se compose donc de trois régions: le Téli en haut, de forme cubique; le galgal en bas, de forme sphérique; et, constituant un plan de démarcation entre les deux, le Leb, zone intermédiaire qui tient à la fois du carré et du cercle.

     

    Cette interprétation permet, manifestement, d'assimiler la fonction du lévrier à celle du triangle cordial, comme élément nécessaire du retournement préalable à la circulature du quadrant.

     

    Chacun sait qu'un chien, avant d'adopter cette position caractéristique de repos au pied de son maître, accomplit bien souvent plusieurs tours sur lui-même ; le comportement naturel du chien venant ainsi à l'appui de sa fonction symbolique.

     

    Ces diverses annotations vont dans le sens de l'idée de Barmont, et permettent d'apporter plus de précisions à la fonction du Lévrier. L'action de « conversion » du Lévrier peut donc être précisée.

     

    Elle implique une action de « redressement » analogue au Tiqqun cabalistique. Les remarques mathématiques de Freitas sur le 515 l'amènent précisément à le définir comme un agent « redresseur ». L'envoyé de Dieu intervient dans une situation où toute chose a été « déviée » de sa vérité et de sa nature.

     

    Cette action de redressement a pour conséquence « le rétablissement de la plénitude ». Dans l'ordre des opérations géométriques, qui correspondent, ici, au degré de la manifestation subtile, le Veltro est l'agent de la médiation entre l'état de « troncature » du solide, et la « plénitude » de la sphère.

     

    La fin d'un cycle, l'accomplissement des temps, marque toujours le départ d'un nouveau cycle. L'époque de la consommation des temps est donc aussi celle aussi ont réunies, reccueillies ou rétablies « dans leur intégrité », et donc leur complétude, en un certain point du monde, les conditions, les « germes » d'un nouveau départ et d'un nouveau cycle.

     

    Dans cet ordre idées, on peut noter que si l'assimilation par Barmont de l'astre maléfique à une comète a pour elle de bons arguments, celle, également traditionnelle, qui l'assimile à Saturne apparait également très cohérente au point de vue du symbolisme. En effet, le symbolisme de cette planète, comme celui des racines SAT-STA auquel il s'apparente, est associée à la fois à l'idée de fin de cycle (le jour de Saturne saturday marquant la fin d'un cycle sénaire), à sa « SATuration », mais également à l'établissement ou l'inSTAllation d'un cycle nouveau. Samedi précédant, en effet, le jour de repos, ou de « stase » qui conditionne le départ d'un cycle nouveau.

     

     

     

    La banderole

     

     

    IV. La tradition du nombre 515 (a) : Dante, Dürer, Jorge Alfonso

     

    Barmont développe une série de remarques extrêmement pénétrantes au sujet du « phylactère » qui porte le titre de la gravure. L'écriteau est brandi par une chauve-souris, symbole des puissances obscures, en même temps qu'il peut correspondre à la découpe de ses ailes.

     

    Selon Barmont, Dürer a volontairement dessiné son titre de façon qu'il puisse être lu comme une formule de 11 ou 12 lettres.

     

    Dans le premier cas, on doit lire : Melencolia – signe « paragraphe » - I. Le signe I pouvant à son tout être interprété de deux manières, soit comme la forme romaine du chiffre 1, soit comme la lettre I, pouvant signifier ici l'Illusion, ou encore l'Ignorance propre à l'âge sombre.

     

    (Précisons toutefois que c'est nous, ici et par la suite, qui assimilons le symbole « intermédiaire » au caractère d'imprimerie « paragraphe », Barmont n'y voyant qu'un symbole graphique indéterminé, qui ne serait ni une lettre, ni un chiffre).

     

    Dans le second cas, la formule doit être lue : Melencolia S. I, les deux dernières lettres se référant alors au latin : Sanct Imperium.

     

    On sait que Durer était originaire de Frankfort, où étaient conservées les reliques du Saint-Empire. La formule Melencolia Sanct Imperium pourra donc s'interpréter à nouveau selon deux ententes, ou bien comme exprimant la nostalgie du Saint Empire romain germanique, ou bien comme exprimant l'attente eschatologique de l'établissement de l'empire du Saint-Esprit, ces deux possibilités n'étant d'ailleurs pas contradictoires.

     

    Barmont remarque en outre que, « par leur forme même, les deux lettres S. I. suggèrent le passage de l'errance indéfinie dans les spires successives de la manifestation (S) à la simultanéité et à la fixité axiale de l' « invariable Milieu » (I).

     

    Quelles que soient les riches possibilités offertes par cette lecture, nous ne cachons pas notre préférence (ne serait-ce que d'un point de vue visuel) pour la première interprétation, selon laquelle la formule compte 10 + 1 lettres, séparées – ou reliées - par le symbole « paragraphe ».

     

    De prime abord, les 11 lettres de la formule peuvent évoquer le 515, dont les éléments additionnés donnent aussi le nombre 11. En outre, l'étymologie du mot Melan/colia (noire-humeur) introduit dans ce mot une division naturelle en 5+5.

     

    Quant au symbole d'imprimerie « paragraphe », qui ne devait pas être très ancien à l'époque de Dürer, il est dérivé du latin « signum sectionnis » - « signe de séparation ». Il se compose de deux S entrelacés. Or à l'époque de Dürer, le nombre 5 et la lettres S avaient souvent la même graphie. Ce symbole peut donc être compris comme contenant deux fois le nombre 5. Remarquons donc, en faveur des précédentes remarques de Barmont, que la formule S. I. contient, au point de vue graphique, tous les éléments nécessaires à la réalisation du nombre 515.

     

    Barmont remarque en outre que Dürer a inscrit un point dans la zone intermédiaire et centrale du symbole « paragraphe ». Ce point peut donc figurer le 1 qui, dans le nombre 515, tient le milieu entre les deux chiffres 5.

     

    Le symbole paragraphe, avec son point central, ne serait donc qu'un équivalent synthétique, ou une expression figurale des mêmes idées qui sont déployées dans la formule « contenante » Melen /colia-I

     

    Les deux pouvant se résumer dans la formule :

     

    5+5+1

     

    Barmont remarque que, dans sa gravure Adam et Eve datée de 1504, « le cartouche suspendu à l'arbre de Vie porte la signature « Albert Dürer », suivi d'un signe qu'on serait tenté d'assimiler à un point d'interrogation ; à y regarder de plus près, on constate qu'il s'agit d'une spirale. »

     

    IV. La tradition du nombre 515 (a) : Dante, Dürer, Jorge Alfonso

     

    Barmont considère ce signe comme se référant au lituus, insigne des augures qu'on retrouve dans la crosse des évéques ; ce signe attesterait ici de l'initiation de Dürer.

     

    A propos de ce symbole, il note : « La forme du lituus, qui fut un des insignes du pouvoir des Pharaons avant de devenir celui des augures, symbolise, soit le « déroulement », le développement total d'un cycle ou d'un état, soit au contraire l' « enroulement », la résorption de ceux-ci dans leur centre principiel, selon le principe évolutif ou involutif du mouvement de rotation de la spirale. »

     

    En suivant ce chemin, le signe « paragraphe » de la melencolia serait l'équivalent du double-lituus, et symboliserait ici la probable double initiation de Dürer, aux « petits » et aux « grands » mystères.

     

    Très curieusement, Barmont omet de remarquer que, dans ce même cartouche de la gravure « Adam et Eve », on ne trouve pas seulement la spirale, mais, en bas à droite, un signe tout à fait identique à celui de la melencolia, et donc composé d'une « double spirale » à ceci près qu'il s'y présente en sens inverse.

     

    Il nous semble que ce changement d'orientation est une indication extrêmement précise de la fonction du 515. La gravure Adam et Eve représente l'état du monde à l'époque de la consommation du « péché originel », autrement dit à l'origine de son état d'altération, ou de déviation. Dans la melencolia, le signe se retrouve « inversé », c'est-à-dire « redressé », sous l'action bénéfique du 515.

     

    Barmont remarque enfin que, dans le signe « paragraphe » de la melencolia, les deux spirales se réunissent de manière à former, à leur jonction, un « losange curviligne marqué d'un point central ».

     

    Et l'on peut remarquer que le losange, si on le considère comme la réunion de deux lambdas inverses l'un de l'autre, peut lui-même être considéré comme un symbole équivalent de celui de la double spirale, puisqu'il représente les deux fonctions essentielles de l'hénade que sont procession et conversion.

     

    Le minuscule symbole situé au centre du symbole « paragraphe », le losange avec un point au centre, peut donc être vu comme une ultime expression synthétique de l'ensemble de la gravure, qui se déploierait à travers celle-ci comme par des cercles concentriques.

     

    Losange avec un point au centre < symbole paragraphe / double lituus / 515 < formule « Melancolia – I » < ensemble de la gravure.

     

    Etonnamment, cet ultime symbole présente une relation mathématique profonde avec le solide de Durer, dans sa formulation gnomonique. En effet, des six éléments qui occupent le centre géométrique de ce solide, quatre se répartissent sur un plan horizontal en forme de losange de 60/120 degrés, tandis que les deux autres s'ajustent le long d'un segment vertical, qui traverse ce losange en plein centre. L'axe vertical correspond à l'axe d'étirement du solide, (qui est son axe de symétrie majeur), et le plan horizontal, à son plan de symétrie bilatérale principal. Voir à ce sujet notre étude gnomonique sur le solide de Durer.

     

    Si l'on reprend les idées associées par Barmont à la double orientation de la spirale, on saisit que le symbole paragraphe pourrait lui-même symboliser l'équilibre des forces universelles. Et à l'appui de cela (pour ceux qui douteraient encore que les principes du symbolisme obéissent à certaines règles) on peut remarquer que, dans plusieurs pays d'Europe de l'Est et du Nord, le symbole « paragraphe » est couramment utilisé comme un symbole de la Justice (ou parfois de la Police), autrement dit comme un équivalent de la balance.

     

    IV. La tradition du nombre 515 (a) : Dante, Dürer, Jorge Alfonso

     

     

    Le rapprochement des deux gravures de Dürer permet de saisir le lien profond qui relie la Melencolia à l'oeuvre de Jorge Alfonso.

     

     

     

     

     

    L'apparition du Christ à la vièrge, de Jorge Alfonso

     

     

    IV. La tradition du nombre 515 (a) : Dante, Dürer, Jorge Alfonso

     

    De Freitas a raconté le destin extraordinaire de ce tableau, d'abord maquillé, puis débité en morceaux afin d'en faire disparaître la partie centrale, avant d'être reconstitué.

     

    L'écusson au centre du tableau portait originellement le nombre 515. Le 1 initial a été ajouté après coup, pour faire croire à une date. De Freitas prend à notre goût trop de précaution à écarter la thèse qu'il soit authentique, tout en apportant de nombreux arguments qui en montrent l'incongruïté. D'abord le tracé du chiffre 1 est d'une main plus maladroite que les trois autres. L'axe de l'écusson passe tout près du 1 central du nombre 515, et l'ajout du 1 initial introduit un déséquilibre dans la composition qui est invraisemblable de la part d'un maître d'une telle excellence.

     

    Ce tableau est donc le seul « document » historique où apparaisse directement le nombre 515, en dehors de l'oeuvre de Dante. De Freitas apporte les précisions historiques qui permettent de comprendre cette filiation. Alors que les organisations templières étaient pourchassées dans presque toute l'Europe, le Portugal est l'un des seuls pays qui ait été relativement épargné par ces persécutions. Certaines s'y sont donc maintenues plus longtemps qu'ailleurs, dans une relative tranquillité. Cependant, avec le progrès de l'inquisition au cours du XVIe siècle, la doctrine ésotérique associée à ce tableau était devenue indésirable. Le tableau fut d'abord maquillé pat l'ajout d'un chiffre 1 qui en masquait la signification. Mais cette mesure n'ayant pas suffi à « éteindre le scandale », il fut ensuite débité en planches, afin d'en faire disparaître la partie centrale. Les morceaux manquants furent miraculeusement retrouvés au début du XXe siècle, et le tableau rétabli dans son intégrité.

     

    Remarquons d'abord que la conception du tableau semble entièrement dominée par le thème du miroir. L'action de la partie gauche : le rachat d'Adam et Eve, est en effet la conséquence directe, et comme le reflet de l'action qui a lieu droite, l'apparition du Christ, attestant de sa résurrection. Entre ces deux parties, l'écusson porteur du 515 joue bien le rôle d'interface, ou de médiation, conforme au symbolisme de ce nombre.

     

    Mais on peut déjà relever que thème de l'Apparition, en lui-même, est déjà apparenté avec celui du miroir. Le miroir est un cadre d'apparition.Toute réalité qui apparaît, apparaît à quelqu'un ; et donc, toute apparition est comparution. Miroir et apparition peuvent, l'un comme l'autre, signifier la connaissance, en tant qu'ils définissent les conditions de celle-ci. Il faut qu'une réalité apparaisse, pour être connue.

     

    Divers rapprochements peuvent être établis avec la Melencolia de Dürer.

     

    Dans la partie gauche, la seule action qui ait lieu, c'est Adam qui présente la pomme restaurée dans son intégrité. Ce fruit miraculeusement reconstitué tient donc un rôle analogue à la sphère de la gravure de Dürer ; l'un comme l'autre expriment à la fois « l'action principale » de l'oeuvre qui les contient, et la fonction essentielle du 515 qui est le rétablissement de la plénitude.

     

    Le lituus présent dans la banderole de la Melencolia, dont Barmont a rappelé la signification initiatique, est présent dans les chapiteaux des colonnes du Temple où se tiennent le christ et la vièrge.

     

    Enfin on peut remarquer l'étonnante similitude entre la chauve-souris porteuse de l'inscription « melencolia I » et l'angelot porteur du 515. Ces deux êtres ailés, l'un maléfique, l'autre bénéfique, ont tous deux pour fonction d'éclairer la signification de l'oeuvre, et semblent témoigner d'un même événement, le premier « en amont », du point de vue de l'achèvement d'un cycle, le second en aval, du point de vue d'une réalité restaurée, marquant le commencement d'un nouveau cycle.

     

    IV. La tradition du nombre 515 (a) : Dante, Dürer, Jorge Alfonso

     

    Une remarque mathématique de Lima de Freitas mérite d'être soulignée. Si l'on prolonge le trait noir - anormalement accusé - de l'escalier de gauche, jusqu'à ce qu'il rencontre le labarum tenu par le Christ, on obtient un angle de 54 degrés. L'angle complémentaire est de 126 degrés ; et les deux sont dans le rapport 3/7, qui est un rapport tétractique. Dans une tétractys de valeur 180, où chaque point vaut 18, l'angle de 54 degrés correspond au triangle, et l'angle de 126 degrés au septénaire central.

     

    IV. La tradition du nombre 515 (a) : Dante, Dürer, Jorge Alfonso

     

    Cette tétractys rappelle la tétractys 360 dont on a parlé précédement. Ses points valent 18 eu lieu de 36, ce qui est parfaitement congrü en l'occurence, puisqu'elle correspond à l'angle plat, et donc au demi cercle de 180 degrés, tandis que la première correspond au cercle complet.