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    Vesica Piscis

     

     

     

     

     

     

    par G. Denom

     

     

     

     

    Axel Schneider sur Vitruve - Vesica Piscis

     

     

     

     

    Le vesica piscis, appelé aussi mandorle (amande), est la figure géométrique formée par l'intersection de deux cercles de même diamètre, lorsque le centre de chacun appartient à la circonférence de l'autre.

     

    Vesica Piscis

     

    Malgré le succès de cette figure dans la mouvance new-age, comparable à celui du nombre d'or, qui permet à certains d'élucubrer à son sujet plus que de raison, Axel Schneider a raison d'insister sur le fait qu'elle est au coeur d'un ensemble de spéculations ésotériques assez anciennes, ensemble qui, en raison notamment de sa nature mathématique, peut - une fois n'est pas coutume - être reconnu comme authentiquement pythagoricien.
    Quelques illustrations suffiront, en effet, pour montrer que cette structure mathématique, d'un haut degré de généralité, permet de retrouver la plupart des thèmes de la mathématique pythagoricienne. 

    Mieux, nous pensons même que le vesica piscis est l'une des clés majeures de l'ésotérisme pythagoricien, par la richesse des connexions qu'il établit entre les différents concepts de cette doctrine.

    Le vesica piscis est "construit" par l'entrecroisement de deux cercles. Il est évidemment tentant de voir dans cette figure une représentation mathématique de la dialectique pythagoricienne de la nature : le Même, l'Autre, et le Mélange. Le vesica piscis évoque aussi la représentation symbolique la plus courante de la notion d'ensemble; où la région du Mélange correspond alors à l'intersection de deux ensembles. Sur cette base logique, le vesica piscis peut être envisagé comme un processus topologique d'ouverture progressive, à partir d'une situation où les deux ensembles seraient disjoints, ou simplement tangents, et leur intersection nulle, ou égale à un seul point - processus d'ouverture qui serait stoppé par un effet "magnétique" à l'instant précis où le centre de chaque cercle rencontre la circonférence de l'autre.

    Cette structure se signale par le contraste entre la simplicité des moyens de construction, et la richesse des contenus mathématiques associés. En elle-même, elle semble comporter un principe de générativité, qui l'apparente à la tétractys. Les deux structures se déduisent d'ailleurs l'une de l'autre en ce que, si l'on coupe le vesica piscis par une ligne médiane, les quatre points d'intersection coïncident avec le quatrième étage de la tétractys, autrement dit avec le degré d'extension ou d'"ouverture" maximale de cette structure. Sous ce rapport, la tétractys peut donc apparaître comme le critérium en fonction duquel s'ajuste l'ouverture propre du vesica piscis.                

                                         

    Vesica Piscis

    Vesica Piscis

     

    Une conception assez répandue associe le vesica piscis au yoni qui désigne, en sanskrit, l'organe génital féminin. Cette conception, quelle qu'en soit l'origine, apparaît totalement justifiée, si l'on prend soin de préciser que, dans la métaphysique indienne, le yoni est avant tout un symbole qui se rapporte au principe ou au "pôle" féminin de la manifestation universelle, correspondant à ce titre au linga (phallus). Or selon la loi du symbolisme, toujours difficile à intégrer pour nos mentalités modernes, (à moins que l'on soit passé entre les mains de pédagogues comme Guénon ou Borella), c'est toujours l'inférieur qui symbolise le supérieur. Ce sont donc les réalités naturelles qui sont, dans leur ordre propre, des symboles des principes métaphysiques qui leur préexistent; puisqu'elles n'en sont qu'une expression déterminée et contingente; et c'est le "yoni", organe génital féminin, qui symbolise selon son mode le yoni, attribut du pôle féminin de la manifestation cosmique, dont il n'est qu'une expression déterminée dans l'ordre naturel, comme le symbole mathématique du vesica piscis peut l'être dans l'ordre intellectuel qui est le sien.

    Mais il est plus intéressant de remarquer que, dans la tradition hindoue, le yoni est constamment associé à l'image du filet de pêche. En maint endroit de la littérature sanskrite, il est dit que le principe divin de la création étend ses "yonis" (toujours alors conçus comme une réalité plurielle) comme le pêcheur étend ses filets. Et la même image se retrouve, à peu de choses près, chez Empédocle. L'ensemble de ce symbolisme tourne donc bien autour de la nature; la génitalité sexuelle n'étant ici qu'un cas particulier. La nature cosmique tout entière procède de la même manière pour créer à tous ses étages : en étendant ses filets, ses yonis qui sont, si l'on veut, des "vessies", des sacs, ou des alvéoles, au sein desquels naissent ou se forment des "poissons", - des monades.

     *

    "Simon-Pierre monta dans la barque, et tira à terre le filet qui était plein de cent cinquante-trois grands poissons; et quoiqu'il y en eût un si grand nombre, le filet ne se rompit point." Jean, 21, 11.

    Il est assez vraisemblable que la recherche historique sur ce symbole ancien, et sur la doctrine ésotérique qui lui est associée, ait pu être entravée par le fait qu'elle conduirait à "démasquer" un peu trop de pythagoriciens parmi les auteurs du Nouveau Testament, dont Saint Jean et Saint Paul... - si le soupçon ne s'étend pas jusqu'au Christ lui-même, comme le suppute Schneider. Mais ceci ne ferait que corroborer les géniales intuitions de Simone Weil, qui intègre Saint Jean dans sa liste des sources pythagoriciennes les plus décisives de l'antiquité.

     

      

     

     

    Quelques propriétés géométriques et arithmétiques remarquables

     

     

     

    Vesica Piscis

     Le Vesica piscis et le triangle équilatéral,

     dont la hauteur est égale à 1/2 de racine de 3

     

     

     

     Vesica piscis et triangle gnomonique de rang 2

     

     

     

     Vesica piscis et racines de 1, 2, 3 et 5,

     qui donnent les hypoténuses de 4 des 5 premiers triangles de Théodore

     

     

     Vesica Piscis

    La mesure du Poisson selon Archimède, avec, pour paradigme, le "filet" : le polygone gnomonique de rang 4 (losange de 60/120 degrés) qui est géométriquement issu de la transformation du triangle gnomonique de rang 4 en carré gnomonique de rang 4, ou qui correspond, plutôt, à la phase intermédiaire de ce processus, comme on l'a vu sur le blog 1 (gnomon d'un polygone régulier). Dans le cadre du symbolisme évoqué plus haut, il est intéressant de remarquer que le "lancer de filet" de la création universelle correspond au développement quaternaire, sous la forme d'une transformation géométrique, de la loi du gnomon : "le gnomon du triangle équilatéral est égal au gnomon du carré"; - transformation représentée ici par son moment intermédiaire, transitionnel.

     

       

     

    En effet, le triangle gnomonique se transforme en carré gnomonique, par une rotation de 180 degrés des cellules monadiques qui sont ses triangles "pointe en bas", suivie d'une modification de 30 degrés du paramètre angulaire (passage du rapport 120/60 au rapport 90/90). Dans cette logique, les blocs atomiques composant les objets gnomoniques sont considérés comme des cellules "souples", ou "plastiques", génératrices de polygones minimum, polygones qui se "solidifient" en fonction de la configuration angulaire des "noyaux" qui sont leurs centres géométriques de référence, - un peu à la manière dont les choses se passent pour les alvéoles des abeilles.

     

     

     

    Vesica Piscis

    La construction, par Dürer, du pentagone adjacent à l'hexagone, "à la manière dont, d'après la tradition, le créateur a conçu le plan de l'univers : avec une ouverture de compas inchangée", - c'est à dire selon le principe de symétrie, ou de commensurabilité. Pour Dürer aussi, le vesica piscis est donc associé au thème de la création du monde. Dans cette construction, les deux polygones, pentagone et hexagone, sont définis au moyen de trapèzes spécifiques, correspondant aux quatre points d'intersection de chacun de ces polygones avec les deux cercles générateurs du vesica piscis.

     

     

     

    Cette remarquable construction, due à Yvo Jacquier, illustre la correspondance entre le vesica piscis, le pentagramme, et les premières étapes de la division du triangle d'or de Penrose. Ici, c'est  l'"amande" intérieure du vesica piscis qui détermine les coordonnées du trapèze du pentagone.

     

     

    le 23.09.2014

     

     

     

     

    Glose :

    On peut remarquer que le nombre 153, somme des 17 premiers entiers et des 5 premières factorielles, et connu par diverses propriétés remarquables, est aussi le troisième des nombres engendrés par l'addition, en ordre croissant, des cubes gnomoniques impairs, série dont le quatrième membre est le nombre parfait 496, évoqué ailleurs sur ce blog, et dont les deux premiers sont les nombres 1 et 28.

    13=1

    13+33=28

    13+33+53=153

    13+33+53+73=496

     

    Soit :

     Vesica Piscis Vesica Piscis   +    Vesica Piscis  = 153

     

                                               + Stephen Phillips - 496 - Plérôme  = 496

     

    En empilant ces cubes les uns sur les autres, la progression de ces nombres peut être représentée par un gratte-ciel dont la base s'élargit, de tous les côtés, d'un cube à chaque étape.

    Tous les nombres de cette famille sont non seulement triangulaires, - c'est-à-dire qu'ils peuvent s'exprimer comme des sommes d'entiers successifs à partir de 1, les 4 premiers étant respectivement les sommes des : 1, 7, 17 et 31 premiers entiers... d'où : ces nombres ordinaux étant séparés par les intervalles : +6, +10, +14, ..., on déduit aisément que le prochain membre de la série, le nombre 1225, sera égal à la somme des 49 premiers entiers, puisque 31+18=49, - mais en outre hexagonaux; les nombres hexagonaux n'étant du reste que les nombres triangulaires de rang impair.

     

     


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    PAVAGES CELLULAIRES

     

     

    par Guillaume DENOM

     

     

    "On remarque que la série des hexagones cellulaires est identique à celle des gnomons du cube." 

     

     

     

    ARGUMENT : Le nombre figuré et le nombre polygonal sont deux procédés traditionnels visant à représenter des nombres par des figures. S'ils bénéficient d'une certaine popularité dans le grand public, ils sont peu considérés des mathématiciens, en raison d'un préjugé - justifié - d'inintérêt, ou d'inintelligence mathématique.

    Les défauts de ces théories peuvent se résumer en deux points :

    1. Le déploiement de la série des polygones dans un même plan est impuissant à rendre compte des problèmes de symétrie très singuliers auxquels renvoie individuellement chacune de ces figures. Ainsi le carré, le pentagone et l'hexagone, renvoient à trois problèmes de symétrie très différents, et non homologues, et qui nécessiteraient, pour être exprimés de façon pertinente par des nombres, de déployer d'autres dimensions que celle du plan.

    2. Les deux théories souffrent d'un défaut rédhibitoire, qui est le statut paradoxal du point, lequel devrait, selon leurs attendus, être à la fois un triangle, un carré, un hexagone, et bien d'autres choses encore.

    Ce raccourci non exhaustif (bien que logiquement suffisant) du problème, nous est imposé par le fait qu'il existe, en réalité, plusieurs théories du nombre figuré, comme du nombre polygonal, cette dispersion même étant l'indice du fait qu'il n'existe, en vérité, aucune théorie mathématique digne de ce nom, derrière ces représentations diverses.

    Malgré ces défauts, le succès de ces représentations semble traduire un sentiment latent, qu'il y a, peut-être, quelque chose d'intelligent à vouloir associer nombres et figures. La théorie des pavages cellulaires permet de rouvrir ce débat d'un point de vue a priori modeste et convivial, qui est celui de la logique élémentaire, et de lui apporter une réponse positive.

     

     

     

     

     

    La théorie des pavages cellulaires constitue un ensemble de lois mathématiques qui, habituellement, sont abordées par deux approches mathématiques différentes : les problèmes d'empilement compact de cellules discoïdales ou sphériques, d'une part, et les problèmes de tessellation - ou de pavage - du plan ou de l'espace, par des polygones ou des polyèdres, d'autre part.

    Nous allons voir que cette séparation des approches n'est pas nécessairement justifiée, dans la mesure où la théorie des pavages cellulaires se situe précisément à l'interface entre ces deux domaines.

    Pour commencer, les idées physiques associées à la notion d'empilement compact pourraient même, ici, susciter une certaine confusion. En effet, au sens physique, les carrés et les cubes cellulaires sont considérés comme des structures « non compactes ». On veut dire par là qu'on ne peut les engendrer en laissant agir une force telle que la pesanteur. Les cellules ne se rangent pas « toutes seules ». Mais un peu de réflexion nous convainc que les pavages qualifiés de compacts, tels que les pavages hexagonaux, ne le sont, dans l'absolu, qu'en raison des forces physiques qui s'exercent sur eux de l'extérieur, dans l'environnement qui est le nôtre. A l'échelle microscopique, où l'action de la pesanteur devient négligeable, la nature ne montre aucune répugnance pour les arrangements cubiques, puisque ceux-ci abondent dans les systèmes cristallins ; et il est assez simple de créer un système de forces où, même à l'échelle macroscopique, les empilements cubiques s'avèrent aussi « stables » ou « compacts » qu'on peut le souhaiter, au moyen de billes magnétisées par exemple. Dans notre approche, qui est avant tout topologique, tous les systèmes doivent donc être envisagés comme virtuellement « compacts », au sens de « solidaires ».

    Quoiqu'il en soit de ces questions, nous allons voir qu'en mathématique pythagoricienne, le traitement des pavages cellulaires dans une théorie unitaire et indépendante est justifié par deux raisons suffisantes.

    1. Ils se prêtent à une classification quadridimensionnelle analogue à celle des objets gnomoniques, comme à celle des objets fondamentaux de la géométrie pythagoricienne.
    2. Comme la théorie du gnomon, ils se rapportent au problème logique de la reconstitution d'objets, (fondamental en mathématique pythagoricienne, et qui relève, en soi et pour soi, de contraintes logiques plus sévères qu'on ne le suppose habituellement), dont ils prolongent et complètent la théorie.

     

    Dans le tableau ci-dessous, les cellules 2D (cercles ou disques) sont représentées en noir, et les cellules 3D (sphères ou boules), en d'autres couleurs.

     

     

    CLASSIFICATION QUADRIDIMENSIONNELLE DES ELEMENTS

     

              

     Dimensions  

     euclidiennes         D2         

                              D3                           

     Dimensions

     pythagoriciennes

     P1. POINTS

       (1, 1, 1, 1, ...)

     

              

     P2. SEGMENTS

       (2, 3, 4, 5, …)

        

            

             

     P3. PLANS

     (Polygones  cellulaires)

     Triangles

       (3, 6, 10, 15, ...)

     

     

     Carrés

       (4, 9, 16, 25, ...)

     

     

     

     Hexagones

       (7, 19, 37, 61, ...)

     

     

            

          

           

     

     

     P4. SOLIDES

     (Polyèdres cellulaires)

     X

         Tétraèdres                         Cubes

     (4, 10, 20, 35, ...)           (8, 27, 64, 125, ...) 

        

     tétraèdre de rang 6             cube de rang 5

           83 cellules                        216 cellules

     

     

        Octaèdres                       Cuboctaèdres

     (6, 19, 44, 85, …)         (13, 55, 147, 309, ...) 

             

     octaèdre de rang 6      cuboctaèdre de rang 10 

          231 cellules                    3871 cellules

     

     

    Pour chaque catégorie d'objets, la formule entre parenthèses donne en gras la valeur du plus petit élément insécable de sa classe, et à sa suite la série des valeurs pour lesquelles l'objet est reconstitué, par l'adjonction de cellules à cette structure de base. On remarque que l'objet « Point » ne peut, par nature, être « reconstitué » que par l'ajout répété de « zéro cellule », qui le laisse inchangé ; tandis qu'à l'opposé, l'objet « Segment » est reconstitué pour toute valeur entière supérieure à 2.

    Dans l'absolu, il n'y a pas de nécessité à ce que les cellules soient jointives, la contrainte de « compacité » pouvant, à loisir, être remplacée par toute autre contrainte de répartition qui conserve les propriétés des structures. Mais pour cette étude introductive il a paru avantageux de considérer le cas le plus simple : celui de cellules de même dimension, empilées de façon compacte, sans discontinuité.

    De la même manière, pour la classe des polygones, il a paru pertinent de se limiter dans un premier temps aux trois polygones qui, en version « classique » (non cellulaire) pavent le plan, savoir : le triangle équilatéral, le carré et l'hexagone.

    Ces deux restrictions conduisent à exclure de la présente nomenclature des polyèdres tels que l'icosaèdre cellulaire qui, en raison de sa structure pentagonale, n'est constructible qu'en tant que surface, mais nécessite de ménager, à l'intérieur de l'objet, une région vide, où la périodicité des empilements est interrompue, - le pentagone n'étant pas une solution de pavage continu du plan.

     

     icosaèdre cellulaire

     

    La famille des polyèdres pourrait néanmoins, sans déroger aux règles définies ici, s'enrichir de diverses de curiosités géométriques résultant, comme les structures ci-dessous, de la troncature de solides pythagoriciens classiques ; mais là encore on a jugé bon, dans un tableau élémentaire, de s'en tenir à l'appareil le plus réduit possible.

     

     exemples de polyèdres compacts engendrés par divers automates cellulaires, construits sur un réseau dodécaédrique rhombique

     

    Quant aux structures non continuellement périodiques, comme celle de l'icosaèdre cellulaire, elles pourraient, elles aussi, être intégrées dans une classification plus large, définie dans le prolongement de celle-ci ; en tenant compte du fait que, du point de vue essentiellement génétique, ou généalogique, qui est celui de la logique pythagoricienne, elles relèvent d'un type moins simple, ou moins primitif, que celles du tableau ci-dessus. La remarque valant, également, pour les structures construites avec des sphères de dimensions différentes... - ou en modifiant encore d'autres paramètres.

     

    On remarque que, dans cette logique, les dimensions « euclidiennes » D2 et D3 se présentent comme des « cas particuliers » des dimensions pythagoriciennes P1 à P4, qui relèvent d'un statut logique « plus général ».

     

    Cette analyse quadridimensionnelle n'aura rien de déroutant pour les familiers de la mathématique pythagoricienne. On a vu dans une précédente étude que le Lambda de Platon était associé à une analyse quadridimensionnelle des propriétés du cube, dans laquelle les jambes gauche et droite du Lambda correspondent, respectivement, à la composition des cubes gnomoniques de rangs 2 et 3. Dans le cube gnomonique, c'est le petit cube atomique de valeur 1 qui joue le rôle de point.

    Enfin, la même analyse quadrimensionnelle est associée, dans la tradition pythagoricienne, à la classification des objets fondamentaux de la géométrie en deux séries quaternaires : les objets premiers d'une part, les objets monadiques d'autre part.

     

     

     

    LE PROBLEME LOGIQUE DE LA RECONSTITUTION D'OBJET

     

    Il importe de bien distinguer la présente approche d'autres nomenclatures bien connues, auxquelles le lecteur a pu être confronté, comme celle des nombres polygonaux, ou celle des nombres figurés.

    Ainsi, en apparence, la série des « triangles cellulaires » pourra faire penser à celle des « nombres triangulaires ». A une différence près toutefois, qui est capitale. Dans la présente approche, il n'y a rigoureusement aucune signification à énoncer que « les premiers nombres triangulaires sont : 1, 3, 6, 10... ». En effet, quand on ajoute le segment (oo) au point (o), on ne reconstitue en rien un objet. La valeur du premier triangle cellulaire est donc évidemment 3, et comme tel il constitue un élément insécable (en deçà de quoi il n'existe tout simplement pas de triangle), et ses compléments correspondent à la série des nombres entiers supérieurs à 2.

    La présente classification étant entièrement gouvernée par le paradigme logique de la reconstitution d'objets, il est évidemment essentiel que les éléments premiers et insécables à reconstituer soient définis de la façon la plus rigoureuse. Au risque de paraître un peu trivial, on émettra cette pure évidence logique : pour qu'un objet puisse être reconstitué, il faut d'abord qu'il ait été constitué; les mots "constitué" et "reconstitué" correspondant sans coup férir, pour chaque objet de notre tableau, aux deux premières valeurs stipulées dans leur formule entre parenthèses, - ce couple suffisant par là-même à les définir.

    En mathématique pythagoricienne, un objet se caractérise précisément par sa capacité distinctive à être reconstitué (inclus le cas limite où cette opération le laisse inchangé); capacité qui le manifeste en tant qu'individu, et le libère, ou si l'on peut dire, le détache, "une fois pour toutes les autres fois", de la chaîne des autres objets auxquels il est génétiquement apparenté. Dans cette conception, un objet ne peut être correctement défini sans qu'aient été produits avec lui, sur un même rameau, d'autres objets, membres d'une même famille; et l'on peut raisonnablement penser qu'il n'existe pas d'autre manière de procéder.

    *

    S'il restait des lecteurs convaincus qu'il est mathématiquement intelligent de procéder à la manière du nombre figuré, en commençant toutes les séries d'objets par le nombre 1, nous leur répondrons que ce n'est pas intelligent, mais que c'est, au mieux, tautologique, et au pire, faux, selon l'interprétation qui peut être donnée de cette représentation. En effet, si l'on commence toutes les séries par le nombre 1, on est aussitôt contraint de constater que les nombres importants, dans chaque série, sont le deuxième et le troisième. Commencer toutes les séries par le nombre 1 équivaut donc à proférer une tautologie du genre : "S'il existe des séries telles que : (2, 3, 4, ...), (3, 6, 10, ...), c'est parce qu'il existe aussi un nombre appelé 1 qui ne comporte qu'une seule petite boule." En raisonnant ainsi, on commet une grave erreur logique, qui est de confondre la constitution des objets avec celle du système.

    Enfin, lorsque, selon une autre interprétation, ce n'est pas tautologique, c'est tout simplement faux.  Car il est faux de dire qu'une petite boule est à la fois un triangle, un carré, un cuboctaèdre, et une chaise. Ce paradoxe du point qui est tout et rien, propre à la théorie du nombre figuré, avait, du reste, interpellé nombre d'observateurs; - et l'on peut estimer qu'il est impossible de le résoudre correctement, sans recourir à l'analyse quadridimensionnelle.

    *

    On remarque que les polygones élémentaires se reconstituent au moyen de structures bien distinctes. Le triangle cellulaire se reconstitue au moyen de segments, le carré se reconstitue au moyen d'équerres, et l'hexagone se reconstitue au moyen d'anneaux hexagonaux. Il est naturel que la complexité du complément croisse en même temps que celle de la figure à reconstituer.

    Il découle des remarques qui précèdent que, de la même manière que le côté d'un polygone cellulaire ne peut pas être inférieur à 2, l'arête d'un polyèdre cellulaire ne peut pas être inférieure à 2. Suivant ce principe, il s'avère aisé de déterminer le rang d'un polyèdre cellulaire quelconque, en comptant le nombre de cellules situées sur son arête. Par exemple, le cuboctaèdre d'arête 11 figurant dans notre tableau est le cuboctaèdre de rang 10, le tétraèdre d'arête 7 est le tétraèdre de rang 6, etc.

     

     

    QUELQUES REMARQUES

     

     

    Pavages polygonaux : principe général

     

    Tout polygone cellulaire, triangle, carré ou hexagone, de quelque rang que ce soit, peut être pris comme élément de base pour former un pavage d'échelle spécifique. Toutefois, seuls les pavages carrés sont gnomoniques au sens restrictif qui nous est habituel ; c'est à dire qu'ils reconstituent la structure de l'élément de base par des solutions entières ; les pavages triangulaires et hexagonaux (construits, précisons-le, sur le même réseau cellulaire) nécessitant l'apport de compléments cellulaires, ces compléments étant eux même régis par des règles arithmétiques constantes.

     

    Les pavages cellulaires hexagonaux présentent des propriétés arithmétiques intéressantes, en particulier à certaines échelles.

     

    Pavages hexagonaux

     

    La série des hexagones cellulaires correspond, dans la nomenclature des « nombres figurés », à la série des nombres hexagonaux centrés (1, 7, 19, 37, ...) ; à la réserve que nous avons déjà émise pour le triangle cellulaire, savoir : que la valeur atomique du premier hexagone cellulaire est évidemment 7, et non 1. 

     

     nombre hexagonal centré

     

     

    On remarque que la série des hexagones cellulaires est identique à celle des gnomons du cube.

    Pour former, à partir de n'importe quel hexagone cellulaire, un pavage d'échelle spécifique, on procède de la même manière qu'avec de simples cellules : on commence par disposer 6 pavés hexagonaux autour d'un pavé central, puis 12 autour de ceux là, puis 18, et ainsi de suite, comme dans l'illustration ci-dessous ; cependant on remarque qu'à chaque étape, les côtés de l'hexagone ne sont pas nettement délimités, mais se présentent comme des lignes brisées ; il manque à l'hexagone un certain nombre de cellules pour être complet, qui doivent donc lui être ajoutées.

      

    Si on appelle E l'échelle du pavé de départ (correspondant à un nombre hexagonal centré donné), le complément latéral requis pour compléter le grand hexagone, de premier ordre, est de taille :  6 x E x (E-1)

    Par conséquent la taille totale sera : 

     

    Echelles

    (1)               7 x 1 + 6 x 0 = 7

    (2)               7 x 7 + 6 x 2 = 61

    (3)               7 x 19 + 6 x 6 = 169

    (4)               7 x 37 + 6 x 12 = 331

    (5)               7 x 61 + 6 x 20 = 547

    (6)               7 x 91 + 6 x 30 = 817

    (7)               7 x 127 + 6 x 42 = 1141

     

    Exemple ci-dessous avec un pavage formé de 7 pavés élémentaires de 61 cellules (échelle 5), que nous empruntons aux travaux de Jaime Vladimir Torres-Heredia Julca  : le complément latéral est de 6 x 20 = 120, et le grand hexagone compte donc 547 cellules.

     

     pavage de Torres-Heredia Julca

     

     

    Cette structure peut également s'analyser comme la somme de 54 tétractys + les 7 points blancs au centre des hexagones 61.

    Torres-Heredia Julca a montré qu'en faisant abstraction de l'hexagone central, aussi bien que des compléments latéraux, la structure de ce pavage pouvait être décomposée de la manière ci-dessous, en 6 x 60 + 6 (les 6 cellules blanches au centre des hexagones), et qu'à ce titre il fournissait une bonne approximation du cycle de l'année (6 x 61=366), dans laquelle les hexagones correspondent à des "bimestres". (On peut noter que notre actuel calendrier respecte, grosso modo, l'alternance entre mois de 30 et 31 jours, qui donne des bimestres de 61 jours). 

     

     

     

    Suivant une indication de Dom Néroman, Rémy Bayoud a suggéré que cette structure pouvait apporter un éclairage sur l'une des plus anciennes cosmologies pythagoriciennes connues, due à Pétron d'Himère, selon laquelle il existerait "183 mondes, disposés sur un triangle". En effet le nombre 183 s'obtient en repliant cette structure sur un axe de symétrie médian, et correspond alors à un "semestre" de l'année. Une méthode encore plus satisfaisante consiste à interpréter la structure comme un "sceau de Salomon", et à rabattre un triangle sur l'autre en le faisant pivoter de 180° sur le centre géométrique de la figure, puisqu'alors on se retrouve même avec "183 mondes" disposés sur un triangle équilatéral.

     

    Mais le pavage d'échelle 5 est encore remarquable à un autre titre, c'est qu'il engendre, en progressant dans les ordres supérieurs, une série infinie de nombres premiers, correspondant aux phases de reconstitution du grand hexagone. En effet, comme les nombres 61 et 547, les valeurs suivantes du grand hexagone sont toutes des nombres premiers et s'enchaînent avec la régularité parfaite qui peut être attendue dans un problème de pavage.

     

     

     

    Cuboctaèdre cellulaire et dodécaèdre rhombique

     

     

    Le caractère remarquable du cuboctaèdre cellulaire, c'est qu'il peut être envisagé comme « le gnomon de la sphère »... autant dire de la monade.

    L'empilement cuboctaédrique de 12 sphères autour d'une sphère centrale peut légitimement être comparé, sur le plan logique, à l'empilement, dans un cube gnomonique de rang 3, de 26 petits cubes autour d'un cube central.

    Les deux structures correspondent à une situation de « remplissage optimal de l'espace » autour d'une structure de base.

    Précisons que, pour la sphère, cette conjecture sur le « remplissage optimal », considérée depuis longtemps comme certaine, n'a en fait été complètement démontrée que très récemment, en 2014.

    Projeté sur un plan "équatorial", le cuboctaèdre correspond à la figure d'un sceau de Salomon inscrit dans un hexagone, structure particulièrement élégante, analogue à celle que l'on peut distinguer dans l'illustration ci-dessous.

     

     

    Les 12 sommets des figures peuvent être mis en correspondance avec le dodécagone de nos horloges, comme une illustration parmi d'autres de la naturalité des divisions de temps que nous utilisons.

    On peut remarquer au passage que cette structure présente une parenté intéressante avec le graphe associé au fameux « solide de Dürer », lui aussi à base « dodéca-cellulaire ».

     

     

     

                                                           

     

     

    En version classique, ou « non cellulaire », le polyèdre dual du cuboctaèdre est le dodécaèdre rhombique, formé de 12 losanges, polyèdre lui-même remarquable en ce qu'il est, avec le cube, le seul polyèdre convexe à remplir à lui seul l'espace.

     

                          

     

    Et on peut encore noter que c'est ce même dodécaèdre rhombique - du moins, sa moitié - qui sert aux abeilles à délimiter le fond de leurs galeries hexagonales, bien qu'il ait été démontré qu'il ne constituait pas (comme on l'a un temps supposé) la formule « la plus économique en cire », puisqu'il existait au moins une solution plus économique...

    alvéole d'abeille à base hexagonale et à fond rhombique

     

     

     

    Les diagrammes de Voronoï

     

    Les diagrammes de Voronoï sont des structures logiques qui, à tout nuage de points du plan (appelés « germes »), répartis par hypothèse aléatoirement, associent une solution unique de pavage du plan par des polygones (« normalement » irréguliers). Pour les construire, rien de plus simple, on trace les médiatrices entre chaque point et ses voisins les plus proches, et on les interrompt... à l'endroit précis où elles rencontrent une autre médiatrice.

     

     

     

    Comme la théorie des pavages cellulaires concerne précisément une série de problèmes qui se situent à l'interface entre la juxtaposition de cellules, d'une part, et la construction de pavages polygonaux ou polyédraux, de l'autre, les diagrammes de Voronoï ont, dans cette théorie, une valeur descriptive évidente. A ceci près que les réseaux cellulaires présentent, dans leurs diagrammes de Voronoï, une parfaite régularité qui n'est pas habituelle.

    Il existe deux types de diagrammes de Voronoï pouvant être associés aux réseaux cellulaires, d'intérêt inégal : les diagrammes sphériques qui résultent de la projection de structures polyèdriques sur la sphère, et donnent une vision extérieure et en quelque sorte panoramique des réseaux cellulaires, et les diagrammes squelettiques, qui résultent, quant à eux, de l'analyse du réseau par des « coupes » bidimensionnelles transversales

    Les diagrammes sphériques sont régis par la Loi de Bodart (que nous devons à une remarque de notre regretté ami Steven Bodart) :

    Projeté sur la sphère, le dual d'un polyèdre cellulaire est son diagramme de Voronoï.

    A partir de cette loi, toute solution de pavage cellulaire polyèdral de l'espace en 3 D peut être transformée en une solution de pavage de la sphère avec des tessons réguliers.

    Par exemple, le dual du cuboctaèdre étant le dodécaèdre rhombique, au cuboctaèdre cellulaire élémentaire formé de 12 cellules groupées autour d'une treizième, correspond une solution de pavage de la sphère au moyen de 12 tessons en formes de losanges ; et ainsi des autres polyèdres cellulaires... - la remarque n'ayant, il est vrai, qu'un intérêt modeste, hormis peut-être esthétique.

     

    Pavages cellulaires

     

    Plus intéressants sans doute sont les diagrammes squelettiques, que nous nous contenterons d'introduire ici par un exemple « canonique », et qui « analysent », quant à eux la structure profonde d'un réseau cellulaire quelconque par des coupes bidimensionnelles transversales.

     

     

    Diagramme de Barazzetti

     

     

     

    Pavages cellulaires

     

     

    Si, dans un cube gnomonique de rang 2, on enlève l'ensemble de la surface extérieure pour ne laisser subsister que le squelette, ou la structure intérieure, (en rouge dans l'illustration ci-dessus), on obtient un diagramme de Barazzetti, structure qui, dans sa version euclidienne la plus simple, se présente sous la forme de trois plans sécants, centrés et orthogonaux entre eux, dont la jonction délimite 12 plans carrés identiques, (ou encore : trois carrés gnomoniques de rang 2).

     

    diagramme de Barazzetti

     

      

    Dans un cube gnomonique "discret" composé de 8 petits cubes détachables, les 12 plans du diagramme de Barazzetti correspondent aux zones de contact entre ces cubes.

     

     

     

    A présent, si l'on examine à nouveau la structure du cuboctaèdre cellulaire (12 sphères groupées autour d'une sphère centrale) on s'aperçoit qu'il est possible de la construire de plusieurs manières différentes par des assemblages de polygones cellulaires. L'une des solutions les plus évidentes consiste, comme on l'a vu, à la décomposer en un hexagone « équatorial », complété à ses deux pôles par deux triangles, orientés l'un par rapport à l'autre, dans la position des deux triangles opposés du sceau de Salomon.

     

     Pavages cellulaires

     

    Mais une autre solution consiste à construire le cuboctaèdre au moyen de trois carrés cellulaires entrecroisés, que notre illustrateur de hasard a eu la magnanimité de distinguer ci-dessous par 3 couleurs différentes : bleu, blanc, rouge. Or que remarque-t-on dans cette configuration? Les 12 cellules du cuboctaèdre correspondent aux centres des 12 carrés du diagramme de Barazzetti. Autrement dit : le diagramme de Barazzetti n'est autre que le diagramme squelettique du cuboctaèdre.

     

     

                                                        Pavages cellulaires     

     

    En effet, si l'on transforme les disques colorés du diagramme ci-dessous en des sphères de même diamètre et de même centre qu'eux, on retrouve les 12 cellules du cuboctaèdre.

     Pavages cellulaires

     

    Ce couple de structures remarquables : le cuboctaèdre cellulaire qui remplit optimalement l'espace avec de petites sphères, et son dual le dodécaèdre rhombique, qui remplit l'espace, « sort » donc immédiatement de la structure profonde du cube gnomonique de rang 2.

     

    On nous permettra peut-être, pour l'occasion, de définir de manière volontairement un peu large le SQUELETTE LOGIQUE d'une structure quelconque, comme la partie de cette structure qui, amputée du reste, en conserve néanmoins les propriétés, ou le contenu mathématique essentiel.

    Cette définition posée, on pourra remarquer que, de la même manière que le diagramme de Barazzetti est le squelette logique du cube gnomonique de rang 2, les 12 cellules du cuboctaèdre cellulaire sont le squelette logique du diagramme de Barazzetti.

    Observation qui, rétrospectivement, semble justifier notre présupposé de départ, selon lequel les problèmes d'empilement compact et les problèmes de tessellation du plan ou de l'espace par des polygones ou polyèdres, gagnaient à être traités solidairement et d'une seule venue.

    Les lois du gnomon sont une illustration de cette « corrélation ». On a vu dans d'autres articles que tout triangle gnomonique se transformait en carré gnomonique par une rotation de 180° des cellules monadiques qui sont ses triangles « pointe en bas », suivie d'une modification de 30° du paramètre angulaire ; logique dans laquelle les polygones atomiques, ou élémentaires, sont considérés comme des cellules souples, qui se « solidifient », ou se résolvent en différents « diagrammes de Voronoï », en fonction des positions relatives de leurs centres à tout instant du processus.


     

    Dans cette représentation, l'état cellulaire correspond donc à une phase intermédiaire, ou de transition, entre différents systèmes de pavage polygonaux ; et de ce fait il apparaît comme plus fondamental, ou plus originaire ; - à l'image du paradigme cristallin, où ce sont des arrangements de "points" microscopiques, les atomes, qui par leur répétition, produisent à grande échelle des arêtes et des angles parfaitement "clivables", délimitant de parfaits polyèdres.

     

     

    CONCLUSIONS

     

    Quelques esprits froids pourront nous objecter que, par ces détours, nous n'avons fait que redécouvrir l'eau tiède de ce qu'est « un réseau cubique à faces centrées » . Tout bien réfléchi, nous nous en contentons. Dans un domaine aussi balisé que celui de la symétrie, il n'était pas question d'apporter ici ce qu'on entend par des « nouveautés mathématiques » ; il nous suffit que, chemin faisant, cette étude ait pu contribuer à apporter un peu d'ordre dans la formulation d'un problème logico-mathématique assez général, celui de la reproduction d'objet, où il n'en existait aucun... - symptôme d'une tendance de l'esprit mathématique, qui, à force d'habitudes généralisatrices, en est peut-être venue à être saisie d'un doute sur l'existence même d'objets mathématiques...

    L'intérêt de l'approche quadridimensionnelle pythagoricienne réside, croyons-nous, dans le contraste entre la richesse des contenus de science que l'on est conduit à développer pour une compréhension suffisante des notions engagées, et l'étonnante simplicité de l'appareil logique grâce auquel on y parvient ; - puisque l'ensemble de ces structures mathématiques relativement complexes est construit ici, rappelons-le, au moyen d'objets tels que celui-ci :

       

     

     29 MAI 2016

     

     

     

    ANNEXES

     

     

    I

     

    Comment calculer facilement le rang et la valeur d'un polyèdre cellulaire d'après son aspect extérieur, et comment déterminer la valeur du polyèdre supérieur à un polyèdre donné.

     

    On a vu que le rang d'un objet cellulaire quelconque se calculait par un moyen très simple : côté -1 pour les polygones, arête -1 pour les polyèdres. Quelques recettes permettent ensuite d'en déduire le nombre total de cellules, pour tout polyèdre.

    Tétraèdre.

    Le tétraèdre élémentaire, formé de quatre cellules, se reconstitue par l'ajout, à sa base, de triangles cellulaires, dont la progression correspond à celle des nombres triangulaires supérieurs à trois : 6, 10, 15...

    Cube.

    La série des cubes cellulaires est construite sur le même modèle que celle des cubes gnomoniques - à la réserve qu'elle débute avec un rang de décalage - puisqu'elle correspond à la série des cubes des nombres entiers naturels supérieurs à 1 : (8, 27, 64, 125....)

    Octaèdre.

    Tout octaèdre a pour plan de symétrie un carré cellulaire. Pour construire l'octaèdre de rang supérieur, on ajoute à l'octaèdre de base : ce même carré cellulaire + le carré cellulaire de rang supérieur.

    Par exemple, l'octaèdre atomique, composé de 6 cellules, a pour plan de symétrie un carré cellulaire de 4 cellules. Pour construire l'octaèdre supérieur, on lui ajoute un carré de 4 cellules + le carré de rang supérieur, composé de 9 cellules. L'octaèdre de rang 2 se compose donc de : 6 + 4 + 9 = 19 cellules.

    Cuboctaèdre.

    Pour le cuboctaèdre, c'est à peine plus compliqué. L'illustration ci-dessous indique la série des compléments qui doivent être ajoutés au cuboctaèdre de base, composé de 13 cellules, dont on voit qu'ils suivent la progression : (42, 42 + 50, 42 + 50 + 70, 42 + 50 + 70 + 90...) et ainsi de suite.

     

     

     

     

    II

     

    Le vecteur d'équilibre de Buckminster Fuller

     

    Richard Buckminster Fuller a attribué au cuboctaèdre divers noms tels que "vector equilibrium", "heléfantaèdre" ou "dymaxion".

    Le cuboctaèdre est le seul polyèdre semi-régulier dont la distance du centre de gravité aux sommets est égale aux arêtes. On a donc au total 36 vecteurs isométriques, 12 pointant du centre aux sommets, en relation angulaire constante (60° partout), et 24 correspondant aux arêtes. Ce nombre s'élevant même à 72, si l'on prend en compte les vecteurs opposés.

     

     

    Pavages cellulaires

     

    Si ces propriétés sont bien connues, Buckminster Fuller est le premier à avoir saisi leur profond intérêt physique. 

    Cette situation d'équilibre vectoriel parfait peut être comparé à celle d'une bulle de savon en train d'être gonflée. La bulle tend à conserver sa forme sphérique à quelque échelle que ce soit : ici en raison de la tension de surface. Dans le cuboctaèdre, la croissance d'un vecteur pointant du centre à l'un des sommets, (égal au rayon de la sphère circonscrite), détermine la croissance isométrique et simultanée des 35 autres rayons et arêtes qui constituent avec lui l'ensemble de la structure, laquelle peut ainsi augmenter de façon continue "sans que rien ne semble se passer". Dans les deux situations, l'équilibre est parfait, parce que la tension est égale en tout lieu.

    Buckminster Fuller compare cette situation à deux réalités qu'il est très important de comprendre dans un sens pleinement physique, si l'on ne veut pas s'égarer dans des interprétations poétiques : le silence, d'une part (où l'équilibre  énergétique parfait est assimilé à l'absence totale de résonance); et le vide d'autre part, au sens d'une pure "virtualité" d'espace, non encore déterminée, ou encore, au sens d'un atome ou d'un grain d'espace.

    "Le Vector Equilibrium est le point zéro de départ pour tout événement ou non-événement : c'est le théâtre vide et le cirque vide et l'Univers vide qui est prêt à montrer n'importe quelle action à n'importe quel public". (R. Buckminster Fuller)

    De fait, les propriétés de ce "vecteur d'équilibre", formé de la somme nulle de 72 vecteurs, s'apparentent à celles du point "euclidien" sans dimension, dépourvu de métrique, qui n'a en soi de réalité que comme condition d'existence (et plus précisément : condition aux limites ou au bord) d'un hypothétique objet géométrique, resté lui-même non défini, ou à définir.

     

     

     

     III

     

    Cosmologie de Pétron et Lambda de Platon

     

    On a vu que le pavage hexagonal d'échelle 5 imaginé par Torres-Heredia Julca fournissait une explication très séduisante des "183 mondes, disposés sur un triangle" évoqués dans la cosmologie de Pétron d'Himère. 

     

                                                      Pavages cellulaires       Pavages cellulaires

     

    A partir des "183 mondes disposés sur un triangle", correspondant dans cette hypothèse au Cosmos de Pétron, on obtient, par "dupli-rotation" (duplication + rotation de 180° de l'élément dupliqué), la structure en sceau de Salomon formée de "366 monades, disposées sur un hexagone", qui correspond quant à elle à l'Année dans le pavage de Torres-Heredia Julca :

     

                                                          

     

    On a remarqué aussi que ce pavage d'échelle 5, muni de ses compléments latéraux, pouvait s'analyser comme la somme de 54 tétractys + les 7 points générateurs au centre des hexagones 61. Ces nombres 54 et 7 ne peuvent manquer de nous faire penser au Lambda de Platon, structure formée de 7 nombres, dont la somme égale 54.

    Cette coïncidence pourrait suggérer la possibilité d'une origine commune aux cosmologies de Pétron et de Timée; sinon même, l'hypothèse que toutes deux ne soient que les résidus d'un même ensemble théorique originel, plus complet.

     

                                       Pavages cellulaires                  

     

    On va voir que ce rapprochement peut être poussé un peu plus loin.

    En effet, si l'on additionne les nombres du Lambda dans l'ordre naturel, on constate qu'ils se répartissent en trois sous-ensembles, dont la somme est à chaque fois un multiple de 6.

    54 = (1+2+3) + (4+8) + (9+27)

    Or ces différentes sommes inférieures correspondent, par une coïncidence assez remarquable, à trois régions, trois ensembles topologiques distincts du pavage hexagonal :

    (1+2+3) = 6         =      les 6 tétractys blanches qui composent l'hexagone central

    (4+8) = 12            =      les 12 tétractys blanches qui composent les "compléments latéraux"

    (9+27) = 36         =       les 36 tétractys colorées qui correspondent au "calendrier annuel"

    Envisagé sous cet angle, le Lambda de Platon semble donc fournir un formulaire arithmétique pour la construction, comme pour la description du pavage; mieux, il paraît même contenir une recommandation implicite sur les différences de couleur à exprimer.

     

     

     

     

    IV

     

    Vues cavalières

     

    La collection de manuscrits ésotériques de Manly Palmer Hall (1500-1825) conserve deux dessins représentant des diagrammes de Barazzetti en perspective cavalière, vus suivant la diagonale du cube gnomonique associé, de manière à former des "sceaux de Salomon". La même idée est illustrée avec des diagrammes de types "plein" et "vide".

                                        

                                          Pavages cellulaires      Pavages cellulaires

     

    Le dessin de gauche présente, en son milieu, une figure composée de trois losanges "vesica piscis" (formés de deux triangles équilatéraux), compris dans un hexagone : figure qui, en perspective, présente elle aussi une "ambivalence" du même genre, puisqu'elle peut être vue soit comme un cube, soit comme un dodécaèdre rhombique. "Le dodécaèdre rhombique pose des problèmes de vision dans l'espace, car lorsqu'on le regarde suivant une diagonale, on a l'impression de voir un cube." (Robert Ferréol, Mathcurve).

    Pavages cellulaires

     

    Dans le dessin de droite, on remarque que le sceau de Salomon lui-même peut s'analyser comme la superposition de trois losanges "vesica piscis", disposés en étoile.

     

    (R. B, G. D)

     

     

     

    V

     

    Les objets cellulaires en équations

    par R. Bayoud

     

    J'appelle "coeur" le point central de rang 0 (hors-jeu si tu veux), autrement dit c(0) = 1

    J'ai ensuite calculé le nombre d'éléments pour chaque "couche" c(n)

    "figure(n)" correspond au total des éléments depuis le coeur jusqu'à la couche n : somme de 0 à n des c(k)

     

    point(n) = 1

    segment(n) = 1 + n

    triangle(n) = ( 2 + 3n + n² ) / 2

    carré(n) = 1 + 2n + n²

    hexa(n) = 1 + 3n + 3n²

    cube(n) = ( 2 + 3n + 3n² + 2n³ ) / 2

    tetra(n) =  ( 12 + 22n + 12n² + 2n³ ) / 12

    octa(n) = ( 3 + 7n + 6n² + 2n³ ) / 3

    cuboc(n) = ( 6 + 22n + 30n² + 20n³ ) / 6

     

    Voilà pour les formules particulières.

    Le développement des polynômes (de 1 à 4 termes) correspond à la position des objets sur "l'échelle" quadridimensionnelle. Du coup : chaque figure peut être vue comme un accord musical, dont les intervalles sont réglés par son polynôme. (Et comme on prend des ratios ça élimine le problème du dénominateur des fractions.) Pour les solides où les polynômes sont de la forme : a + b.n + c.n^2 + d.n^3, on peut ainsi théoriquement construire les intervalles : b:a, c:b et d:c, les 3 ensemble formant un "accord". 

    Quant à la formule génératrice de toutes les suites, elle me semble hors d'atteinte pour le moment.

    La seule chose relativement évidente c'est qu'il s'agit d'un polynôme de coefficient fixe = 1 et de degré égal à la dimension impliquée.

     

     

     

     

     REFERENCES :

     

    Un lien géométrique entre le cercle et le système sexagésimal, Jaime Vladimir Torres-Heredia Julca, 2005.

    La plaine de vérité, Dom Néroman, Arma Artis, 2009.

    L'espace symbolique, Enrico Barazzetti, Archè, 1997.

    Automates cellulaires et pavages vus comme des réseaux booléens, Hussein Ben-Azza, thèse de doctorat en informatique, sous la direction de Jacques Mazoyer, Lyon I, 1995.

     

     

     

     


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    Lambda de Platon et cubes gnomoniques de rangs 2 et 3

     

     

     

    LAMBDA DE PLATON

    et cubes gnomoniques de rangs 2 et 3

     

     

     

    par G. Denom

     

     

     

     

     

    Deux forces règnent sur l'univers : lumière et pesanteur.

    Simone Weil

     

     

     

     

     

     

     

     

    Le principe gnomonique de la musique pythagoricienne

     

     

    Stephen Phillips a consacré, sur son blog, une étude géométrique intéressante au lambda platonicien (timéen pour d'autres), à voir ici, qui identifie dans cette structure l'interface arithmétique commune à la théorie musicale pythagoricienne et à ce qu'il nomme avec d'autres les "géométries sacrées"; même si nous devons confesser que cette expression n'a pas, pour nous, de signification bien évidente en pythagorisme, dans la mesure où, selon cette doctrine, c'est la géométrie elle-même qui peut être considérée comme "sacrée", ou, du moins, toute géométrie peut l'être, si elle est envisagée sous l'angle adéquat. Aussi, s'agissant de géométries issues des spéculations symboliques de différentes traditions ésotériques, telles que le yi king, l'arbre de vie ou le sri yantra, il nous semble suffisant de parler de géométries ésotériques, ou traditionnelles; avec l'avantage d'éviter ainsi, peut-être, le soupçon d'aller trop vite en besogne, et de présenter comme acquis, ou assuré, ce que l'on se propose en l'occurrence d'établir, ou d'illustrer.

     

    La structure du lambda de Platon est morphologiquement analogue à celle de la dyade indéterminée, comme à celle du tenseur binaire radical de la linguistique guillaumienne. L'analogie ne se limite pas à une question de forme, puisque les deux jambes du lambda, constituées par le développement quaternaire, ou "tétractyque", en tant que rapporté à l'unité originaire, des carrés et des cubes des nombres 2 et 3, correspondent aux tensions "binaire" et "ternaire" du tenseur linguistique, à ceci près que, dans la topologie véritablement génétique de ce dernier, comme un peu partout dans la tradition pythagoricienne, la tension ternaire ou impaire, considérée comme fermante, (et correspondant à la catégorie du Même), précède la tension binaire ou paire, considérée comme ouvrante, (et correspondant à la catégorie de l'Autre) : ordre que l'on retrouve aussi bien dans la tension cosmologique empédocléenne, que dans la "table des opposés" d'Alcméon de Crotone.

     

     

    Stephen Phillips                                Stephen Phillips

     

    Point-atome : 1                                     Point-atome : 1

    Arête-segment : 2                                Arête-segment : 3

    Face : 4                                                 Face : 9

    Volume : 8                                             Volume : 27

     

    La musique pythagoricienne, comme on le voit, est construite avec de simples cubes. En effet, la jambe droite (ci-dessus) du lambda nous renvoie, exemplairement, aux valeurs du cube gnomonique de rang 3, comme le rubix-cube, dans lequel les nombres : 1, 3, 9 et 27 correspondent à l'atome-graine (point), à l'arête (segment), à la face (surface) et au volume du cube respectivement. Quant à la jambe gauche du lambda ci-dessus, elle n'évoque pas seulement les valeurs du cube gnomonique de rang 2 (où 1 = point-atome-graine, 2 = arête, 4 = face, 8 = volume), mais aussi bien certains processus sphériques, tels que celui de la division cellulaire, de la monade biologique.

     

     

     

    Le cube gnomonique de rang 2 et la monade biologique

     

    Stephen Phillips - 496 - Plérôme - Lambda de Platon

    embryon au stade de 8 (x1) cellules, réparties en 2 hémisphères de 4 cellules

     

    Il peut être intéressant de s'attarder un peu sur cette monade biologique, à ce stade de développement précoce où elle correspond au cube gnomonique de rang 2, car on constate qu'elle y est déjà dotée d'une structure tridimensionnelle, et que les principaux axes de symétrie de l'individu sont, eux aussi, déjà définis. 

    Du point de vue monadologique, les trois axes de symétrie majeurs de la monade (l'un vertical, les deux autres horizontaux), correspondent aux "trous" ou aux interstices entre les cellules, mais aussi à l'historique de leurs mouvements relatifs; tandis que, d'un point de vue rétrospectif, ces trois mêmes axes fondamentaux déterminent l'emplacement des parois intérieures ou des surfaces de contact entre les cellules. Or, si la monade-point est déjà divisée en deux au stade du segment ou du "filament", elle se retrouvera, inévitablement, divisée en quatre au stade du plan ou de la "membrane" (disque), et en huit au stade de la cellule formée ou de la sphère (boule), puisque, du point de vue topologique, chacune de ces structures est formée ici par une duplication de celle qui la précède.

    Le disque horizontal de la monade étant, structurellement, formé de deux segments entrecroisés, il est nécessaire qu'il corresponde à quatre points-éléments, et donc quatre "quartiers".

     

    Stephen Phillips - 496 - Plérôme - Lambda de Platon

    Mais d'autre part, le plan de l'horizon étant, par définition, décalé de 90 degrés par rapport au segment vertical de référence, et les deux segments composant la croix horizontale étant le lieu d'une intersection avec la dimension verticale, il est nécessaire que, dans cette dimension, il existe deux plans, deux disques identiques au disque de l'horizon, et perpendiculaires entre eux comme à ce dernier.

     

    Stephen Phillips - 496 - Plérôme - Lambda de Platon

     

    Dans la situation finale de l'orange biologique, il subsiste donc trois plans : un plan horizontal et deux plans verticaux, l'un frontal et l'autre sagittal, qui définissent huit (8) demi (1) - quartiers (4) répartis en deux hémisphères (2) de part et d'autre du plan horizontal de référence : - où nous retrouvons, dans leur expression naturelle, tous les nombres de la jambe gauche de notre lambda, structurellement identiques aux coordonnées intérieures d'un cube gnomonique de rang 2, comme dans la situation de ce personnage :

     

    Stephen Phillips

    Chacun des trois plans générateurs étant divisé en quatre, on a au total 12 plans qui correspondent à l'ensemble des surfaces du cube gnomonique qui sont en contact avec une autre. La transformation du cube gnomonique de rang 2 en monade biologique sphéroïdale s'effectue simplement en remplaçant les trois carrés gnomoniques générateurs (CG de rang 2) par des cercles, ou plus exactement des disques.

     

    Vision artistique de la monade biologique, à la structure formée de trois disques concentriques et perpendiculaires les uns aux autres, avec ses trois axes de référence.

     

    En vertu des lois de la tension superficielle, les parois internes, aussi bien que l'enveloppe de la cellule, peuvent être recréés de manière très simple au moyen de trois anneaux assemblés sur les trois axes de la monade (composant un chrisme tridimensionnel), et de bulles de savon.

    Pour une raison circonvoisine, (puisque l'octaèdre est la structure duale du cube), l'octaèdre - polyèdre à (8) x (1) faces - inscriptible dans la sphère, composé de deux pyramides (2) à base carrée (4) opposées, et dont les coordonnées des 6 sommets sont définies par les trois axes directeurs de la monade, est, du point de vue physique qui est celui de l'équilibre des vecteurs, la plus stable des structures spatiales issues de la théorie pythagoricienne des solides.

     

     

       1. Le développement continu de la tétractysStephen Phillips

     

    De fait, il est possible de construire un octaèdre évidé, ou réduit à l'état de squelette, au moyen de l'entrecroisement de trois carrés, dans lequel aucune des propriétés essentielles de ce solide n'est perdue; et ces trois carrés correspondent aux trois carrés gnomoniques de rang 2 qui définissaient, précédemment, les parois intérieures du cube gnomonique de rang 2, comme ils correspondent aux trois disques de la monade biologique.  Il est également possible de construire cette figure avec huit tétraèdres irréguliers dont les bases sont des triangles équilatéraux et les trois autres faces des triangles isocèles rectangles.

     

    Stephen Phillips - 496 - Plérôme - Lambda de Platon

     

     

     

     

    Tension binaire et tension ternaire : deux forces physiques très concrètes

     

     

    Cette parenthèse refermée, on pourra résumer ce qui précède en disant que les deux jambes du lambda nous représentent les propriétés de développement gnomonique propres aux nombres monadiques 2 et 3, dans leur rapport conjoint à l'unité cardinale, et sous la définition spatiale quadridimensionnelle qui est spécifiquement la leur dans la mathématique pythagoricienne.

    A présent, comment caractériser la différence entre les deux systèmes, - entre les deux jambes du lambda?

    Dans un cube gnomonique de rang 2, le centre de symétrie n'est pas un élément du système.

    Si la tension paire, la tension binaire, est considérée comme ouvrante ou centrifuge, c'est parce qu'elle a pour centre géométrique un vide séparateur. Dans l'ordre des interactions physiques, la tension binaire est donc associée à la force électromagnétique et, caractéristiquement, à la lumière, comme en général à tout phénomène de rayonnement; - force dans laquelle, à tous les étages d'observation, la bipolarisation semble être une propriété "immanente". Si la lumière est ce qu'il y a de plus rapide, c'est parce qu'elle est ce qui "fend" et divise le mieux l'espace. A une autre échelle, la tension binaire pourrait aussi être associée au phénomène de la fluctuation quantique, propriété essentielle du vide, productrice de paires de particules.

    A l'inverse, dans un cube gnomonique de rang 3, le centre de symétrie est un élément du système, celui des 27 petits cubes qui est situé au centre de celui-ci, autour duquel un plus grand cube est construit de manière continue, à la manière d'un fruit autour de son noyau, (ce qui en fait une représentation achevée, car tridimensionnelle de la dyade indéterminée), et vers lequel convergent l'ensemble des segments ternaires particuliers dont est constitué le cube. Le véritable gnomon (tridimensionnel) du cube peut donc, à cet égard, être regardé comme un ensemble sphéroïdal d'une seule pièce, constitué de 26 éléments groupés autour d'un noyau. Si la tension impaire, la tension ternaire, est considérée comme centripète ou fermante, c'est parce qu'elle a en son centre un être positif, qui est en même temps un attracteur. Dans l'ordre des interactions physiques, la tension ternaire est donc associée à la force gravitationnelle, comme l'illustre exemplairement le problème à trois corps.

    Si la tension ternaire précède logiquement la tension binaire, c'est parce qu'un être précède, logiquement, la possibilité qu'il a d'être coupé en deux; c'est parce que, pour que puisse être coupé en deux quelque chose, il faut qu'il y ait quelque chose. La tension ternaire a pour centre la monade cardinale, l'objet, tandis que la tension binaire a pour nature profonde la nature du couteau. Or c'est l'être qui tient le couteau, et non le couteau qui tient l'être.

    Il n'y a sans doute pas d'autre force agissante dans la nature, que ces deux forces dont les effets sont connus et visibles à l'échelle humaine : celle qui fait choir une pomme à terre, et celle qui fait jaillir la lumière d'une lampe électrique. Dans la mesure où, selon le principe sain de la physique, une force se connaît à ses effets, les forces nucléaires faible et forte, dont les effets, annihilés à notre échelle, nous sont invisibles, puisqu'elles sont confinées dans le noyau de l'atome, où elles n'entrent en jeu que pour faire tenir ensemble des composants élémentaires qui, sans elles, ne s'accorderaient pas, n'ont assurément pas le même statut scientifique, et nous renseignent sans doute davantage sur les limites actuelles de nos théories, sur notre connaissance insuffisante de la délicate horlogerie selon laquelle les forces fondamentales peuvent se combiner à l'échelle subatomique, que sur la nature des choses. On peut déjà remarquer que les forces nucléaires "faible" et "forte" ne sont, par leurs noms mêmes, pas associées, comme les deux précédentes, à une multiplicité d'effets micro, méso et macroscopiques, mais à un topos bien défini qui est le noyau de l'atome, or il est singulier et scientifiquement inhabituel que les effets d'une force physique, et a fortiori d'une force universelle, soient assujettis et limités à un topos particulier; car le noyau de l'atome n'est qu'un lieu aussi déterminé de la nature que peut l'être la coquille d'un oeuf, et par conséquent lorsqu'on parle de forces nucléaires forte et faible on ne dit, scientifiquement, rien de plus impressionnant que "la petite et la grosse force de la coquille", qui sont précisément les deux dont vous avez besoin pour que votre coquille n'explose pas. Mieux vaudrait, peut-être, s'interroger sur ce que l'on a mis dans l'oeuf. Rien de commun, donc, avec des forces universelles dont les effets directs se diffusent réellement à de multiples niveaux d'observation de la nature, comme celles que nous évoquions au début de ce paragraphe, savoir : la gravitation et la force électromagnétique.

    Si nous pensons que deux tensions sont suffisantes pour expliquer ce qui se passe dans le monde physique; c'est parce que nous avons  constaté que deux tensions étaient habituellement suffisantes, pour expliquer ce qui se passe dans le monde mathématique. On peut sans doute dire que si un problème ne relève pas de l'une de ces tensions, il ne relève pas de la mathématique; car nous ne parvenons pas à concevoir une forme de tension, opératoire en mathématique, et ayant donc un sens pour cette science, qui ne procède pas de l'un ou l'autre de ces archétypes, relevant des propriétés universelles de la dyade indéterminée, ou qui n'en dérive par composition. Or concernant maintenant les possibilités d'explication propres à la science physique, nous pensons qu'une explication physique ne sera jamais satisfaisante pour l'esprit, si elle ne s'achève pas dans une représentation du genre mathématique; cette affirmation qui pourrait presque apparaître comme un cliché ou une généralité creuse, ne l'est pas en réalité pour nous, puisqu'elle revient à rappeler la science aux sources pythagoriciennes de son inspiration première, au prix d'un petit effort pour enjamber cet autre cliché, selon lequel en pythagorisme "tout est nombre". La "mathématique pure", en tant que science des possibilités a priori de l'être, sera toujours légitime à s'exprimer en science physique, dans la mesure où la science physique elle-même ne se reconnait pas d'autre garant, n'admet pas d'autre genre de monstrations et de preuves, que celles que lui apporte la mathématique. Et ce, bien que depuis Galilée, cette mathématique pure en soit finalement venue à être regardée comme un instrument abstrait et froid, dont l'usage ne se justifie, au fond, qu'à raison de ses succès pratiques en terme de prédiction et de calcul.

     

     

    Même - Autre, Un - Multiple

    derrière ces catégories dialectiques : deux constantes cosmologiques

     

     

    Ces forces physiques bien connues et manipulables à l'échelle humaine, sont aussi manifestes à une échelle supérieure; puisque c'est à elles que se résume l'activité apparente du ciel. 1. Les astres gravitent et 2. émettent des rayonnements, des ondes, au premier rang desquels la lumière. Si la lumière est ce qu'il y a de plus rapide, c'est parce qu'elle est l'être dont la tendance naturelle, le vecteur, est le plus opposé à celui de la gravitation; en tant que limite constante du système cosmologique, elle représente donc à cet égard un extremum, un correspondant polaire à la gravitation. Si la gravité est ce qui fait que toutes choses se dirigent du même côté (ou du côté du Même), la lumière est ce qui se rend le plus vite de l'"autre" côté, (ou du côté de l'Autre). Ce n'est pas sans raison que le nom de la tétractys désigne par le mot "rayon" ce qui est en fait une dimension mathématique, et pas seulement d'espace, mais d'espace-temps. Certes une réalité mathématique est nommée ainsi au moyen d'une analogie physique; mais l'important est qu'il s'agit en l'occurrence d'une analogie correcte.

    A l'inverse, nous voyons avec les trous noirs que, lorsque la gravité d'un astre est excessive, les rayonnements de la lumière sont non seulement piégés et emprisonnés dans cet astre, mais littéralement aspirés dans une direction inverse de celle qui est naturellement la leur, qui est celle de la singularité et du point; de sorte que les vecteurs d'extension de la lumière qui étaient précédemment des vecteurs de division de l'espace macroscopique, doivent à présent être des vecteurs de division de l'espace microscopique, de la dimension du point, elle-même d'extension indéfinie. Et il est remarquable que la monade biologique puisse être considérée en même temps de ces deux manières : comme un problème de division d'une singularité primordiale, et comme un processus de croissance ou de développement de l'individu. Cela montre que la cellule vivante relève d'un accord ou d'un équilibre entre deux tendances essentiellement contraires.

    *

    Dans la tradition pythagoricienne, il est dit que le monde résulte d'un accord, d'une harmonie, ou d'un mélange, entre ces deux tensions contraires, appelées "même" et "autre", - qui ne sont pas seulement des agents logiques, comme on l'a généralement cru à tort, mais aussi des forces physiques très concrètes, l'une "rentrante" , l'autre "sortante", l'une aspirante ou "siphonnante", évoquant un entonnoir ou un vortex, l'autre émanante ou rayonnante. C'est dans la connaissance de cette harmonie, de cet accord intime de la nature, que consiste l'art pythagoricien de la musique des sphères, dont le Timée offre l'exemple le plus connu. Toutefois, si dans le domaine purement mathématique qui est celui de la théorie musicale, l'harmonisation de ces deux systèmes, binaire et ternaire, peut s'effectuer au moyen des trois seules médiétés classiques : arithmétique, géométrique et harmonique, qui forment du reste un tout logique, il n'en va pas de même dans le domaine des sciences de la nature, où une quatrième médiété entre en jeu : la médiété Nicomaque 10. Or, de ces deux plans ontologiques, le plan mathématique et musical, et le plan de la science physique, le second est plus développé et plus complet, puisqu'il inclut le premier comme partie, comme noyau mathématique, tout en le développant selon une modalité particulière d'existence, qui est celle, en l'occurrence, de notre univers physique. Entre les deux, il y a toute la différence qui existe entre la simplicité de la tétractys, et la richesse du monde physique, entre les conditions de possibilité de la forme, et la réalisation d'une forme particulière. Le problème du Timée de Platon est qu'il semble avoir tenté de réunir dans un récit continu, en fonction d'analogies trompeuses, des considérations qui, à l'origine, relevaient de plans ontologiques différents; de sorte que la seule façon d'en user avec ce texte semble être d'en considérer les morceaux isolément, comme les pièces d'un puzzle incomplet en l'état, comme on le fait d'ordinaire pour le reste de la tradition pythagoricienne. Ces réserves faites, il importe surtout de souligner que les tensions binaire et ternaire du lambda de Platon correspondent, de façon parfaitement évidente, aux deux tensions fondamentales de la cosmologie empédocléenne; ou encore, pour enfoncer ce clou, la dialectique du Même et de l'Autre ne présente aucune différence avec celle, empédocléenne, de l'Un et du Multiple, la seule différence consistant dans le choix d'un couple d'agents logiques dans le premier cas, et mathématiques dans l'autre; mais cette différence ne signifie en l'occurrence rien de plus, que le fait que la réalité elle-même puisse être envisagée de manière alternative sous ces deux aspects, sans cesser d'être une et la même; de sorte que, malgré le déni de la critique historique et philosophique à ce sujet, on est contraint d'admettre qu'il y a, entre ces deux monuments de l'ancienne physique pythagoricienne, un accord absolu sur les principes, comme il est naturel et inévitable dans toute tradition qui se respecte, même s'ils diffèrent dans la façon de les appliquer.

    *

     

    Du point de vue strictement physique, il n'existe sans doute que deux constantes véritablement universelles : la constante gravitationnelle et la vitesse de la lumière; toutefois un univers gouverné par ces deux seules constantes serait, selon toute vraisemblance, incapable de faire naître quelque chose, si une troisième constante n'intervenait dans le processus, celle-là d'essence mathématique : la constante phi, pour des raisons qui ne pourront ici qu'être effleurées.

    Sur le plan ontologique particulier qui est celui de la Nature, toute existence individuelle repose, du point de vue topologique, sur une assise en forme de double spirale, l'une rentrante, l'autre sortante, spirales qui, en arrivant au contact l'une de l'autre à partir de vecteurs opposés, agissent l'une à l'égard de l'autre comme des freins, et forment donc une médiation entre deux tendances de la nature, l'une centripète, l'autre centrifuge, qui l'une comme l'autre, sans cette médiation conduiraient cette existence individuelle à disparaître physiquement. L'existence individuelle d'un être naturel est donc conditionnée à celle d'une "matrice" topologique, capable de freiner les forces universelles qui le traversent, en fonction d'un milieu qui est, pour cet être donné, celui de sa survie, de sa continuité dans le temps, mais qui est aussi une réelle position et une coordonnée mathématique, ou plus exactement un système à deux coordonnées, composé d'un centre et d'un environnement, (selon les deux sens que revêt en français le mot "milieu", compris ici synthétiquement); - freiner ces forces, sans toutefois les stopper complètement, sans quoi aucun mouvement, ni aucune existence individuelle ne serait possible.

     

     

    Le problème topologique de la monade-univers, autrement appelée Nature. Le Mélange et l'Harmonie : le "frein à main" de la nature universelle.

     

    Pour se donner une idée du problème, on peut se représenter, par exemple, l'action que les tensions binaire et ternaire exercent sur un objet comme le segment; en ayant à l'esprit le fait que le segment n'est qu'un état, et donc une représentation particulière de la monade, et qu'à cette réserve, les choses ne doivent pas se passer de manière très différente pour la monade-univers. La tension ternaire centripète détermine le segment à se contracter en direction d'un point qui est son centre, afin de continuer à ne former qu'un seul objet. La tension binaire centrifuge le détermine à se séparer en deux parties égales, dont chacune se précipite dans une direction opposée à celle de l'autre. Cependant, en l'état, il ne peut rigoureusement rien se produire, puisque les deux forces s'annulent. La deuxième force voudrait que le segment se brise en son milieu, qui est précisément le lieu où la première force, la force ternaire unifiante, a son foyer. C'est ce qu'exprime le Timée lorsqu'il affirme que "le même et l'autre sont rebelles au mélange". Pour qu'il se passe quelque chose, pour qu'une existence individuelle puisse se manifester, les deux tensions, centripète et centrifuge, doivent s'harmoniser selon deux spirales symétriques, (que l'on pourrait comparer, topologiquement, à la double hélice de l'ADN), l'une rentrante, l'autre sortante, orientées en sens inverse l'une de l'autre, et attachées l'une à l'autre par des coordonnées d'intersection régulières, constituant des foyers de discrétisation, jusqu'à former, si l'on veut, pour nos deux forces, un dispositif de décélération et de neutralisation mutuelle progressive. A ces spirales, finalement réduites à une seule structure, correspond un certain logos, un certain rapport - ou une médiété - entre trois termes, dont chacun (hormis le premier) est à chaque fois le médian de deux autres, qui permet à cette spirale de se dérouler sous la forme d'un escalier discret où, à chaque pallier, se forment certaines catégories de monades. Or, dans le plan ontologique particulier qui est celui de la nature et de la science physique, la médiété qui possède, à l'égard de ces deux tendances fondamentales (et "destructrices" si on les considère individuellement) de la création, la valeur de zéro logique ou de diagonale, et que l'on peut donc considérer comme la position idéale du "frein à main" de la nature universelle sur une échelle graduée; - comme la position qui s'avère, à tous les échelons de celle-ci, génératrice de centres d'accrétion, de "stoppages", d'existences individuelles stables telles que : galaxies, étoiles, planètes, êtres vivants, en un mot comme en cent de monades ou de points, et qui semble par là pouvoir être rapportée au concept, pour nous étymologique, de la Nature comme naissance, engendrement universel, comme à celui plus mathématique de formation; -  cette médiété n'est autre que la médiété Nicomaque 10 ("de Fibonacci"), tendant vers le nombre d'or,  dans laquelle (c-b)/(c-a) = a/b, comme nous espérons le montrer un jour de façon plus détaillée. Sachant que, ce qu'il importe de comprendre en l'occurrence, c'est pourquoi, quand on divise un segment dans le rapport d'extrême et moyenne raison, on ne fait pas seulement de la mathématique, mais aussi de la physique, et ce, à presque tous les étages de cette science; c'est en tous cas le point sur lequel la recherche contemporaine devrait concentrer son attention.

    En tant qu'elle fait revivre sous nos yeux, dans sa richesse, l'ancien concept grec de la Nature et de la science physique, science qui se présente d'emblée sous une variété de niveaux et de catégories, mais néanmoins non morcelée, car réunie par un principe transversal, la problématique du nombre d'or a sans doute aussi quelque chose à voir avec un enjeu historique propre à la science occidentale, qui est celui de la réunification de la science physique, ainsi qu'avec l'émergence de nouvelles générations de physiciens, moins spécialisés que ne l'étaient leurs prédécesseurs.

     

    *

     

    Les forces à l’œuvre dans le secret de l'atome, doivent être les mêmes que celles qui ébranlent la machine du ciel. "Ce qui est en bas est comme ce qui est en haut". Du moins ce chemin est-il le seul qui mérite le nom de science.

     

     

     

    Le 10.09.2014

     

     

     

     

    ANNEXE

     

     

    L'univers a-t-il la structure d'un chou romanesco?

     

     

     

    Le nombre d'or n'est pas le fait d'une imagination mathématique mais le principe naturel des lois de l'équilibre.

    R. A. Schwaller de Lubicz 

     

     

     

     

     

    Selon les données pythagoriciennes que nous venons de développer, la structure de l'univers pourrait être comparée à celle d'un chou romanesco, - structure géométrique à laquelle conviendrait particulièrement, comme on va le voir, le surnom de "mont analogue".

     

    Lambda de Platon et cubes gnomoniques de rangs 2 et 3

     

    La structure générale du chou est celle d'un cône, qui est l'expression tridimensionnelle la plus simple de la dyade indéterminée. Le sommet du cône correspond au foyer originaire de la force gravitationnelle, et sa base ou son "embouchure" inférieure, aux limites d'expansion de la force électromagnétique.

    Le cône est sillonné par des spirales de Fibonacci rayonnant à partir de son sommet, les unes "lévogyres", les autres "dextrogyres", (habituellement 8 et 13, soit deux nombres successifs de Fibonacci); et sa surface se compose, endomorphiquement, d'innombrables cônes de tailles différentes, tous semblables au plus grand, et eux-mêmes constitués de cônes plus petits, ad perpetuum. Chacun de ces cônes inférieurs, définis par l'intersection de deux spirales antagonistes, correspondant à un "stoppage", à un foyer d'accrétion ou de "retombée" gravitationnelle, et donc à une division ponctuelle et monadologique de l'univers telle que : amas, galaxie, système solaire, planète, être vivant, etc.

    Cette structure est abusivement qualifiée de "fractale" alors qu'elle est rigoureusement gnomonique, puisque les spirales sont construites au moyen de rectangles de Fibonacci, et donc de carrés gnomoniques. Or à la différence de la "théorie" des fractales qui n'est qu'une collection de faits mathématiques assez vaguement apparentés, la théorie du gnomon est une véritable théorie mathématique, régie par une loi cadre : la loi du gnomon.

    Rappelons que le cône, ou son antagoniste logique : l'entonnoir, affecté d'un tenseur binaire de contraction-expansion, (et entouré d'une sphère), était déjà la structure qui se dégageait avec le plus de vraisemblance du système cosmologique d'Empédocle(1); et la simple forme matérielle du lambda de Platon indique que cette structure est aussi à la "racine" de l'univers du Timée, racine qui est à la fois logique (gnomonique) et musicologique. A la lumière de ces précieux enseignements pythagoriciens, ce légume d'une invraisemblable beauté mathématique, qui nous offre une représentation de l'union parfaite de la monade et de la dyade indéterminée, de la tension ternaire fermante et de la tension binaire ouvrante, et qui n'a sans doute pas fini de livrer ses secrets, mériterait, à coup sûr, d'être étudié avec plus de considération qu'il a pu l'être jusqu'ici.

     

    Lambda de Platon et cubes gnomoniques de rangs 2 et 3Lambda de Platon et cubes gnomoniques de rangs 2 et 3

    Tous les cônes sont affectés d'une torsion caractéristique, la torsion en "spirales d'or"; en revanche, la distribution géométrique des points de la sphère (circonscrite au cône principal) vers lesquels tendent leurs innombrables sommets, semble, à première vue, générée par un processus  libre ou "aléatoire", un peu comme si chacun des milliers de sommets monadologiques bourgeonnant à la surface du chou (et ce à toutes les échelles de celui-ci) constituait une entité individuelle, dotée d'un mouvement autonome.

     

    (05.01.2015)

     

     

    (1) Empédocle emploie l'expression : "reflux vers les bords du cercle" pour caractériser le mouvement de l'Un vers le Multiple. La limite d'expansion du Multiple est donc bien un cercle. Dès lors, si l'on veut bien nous concéder que l'univers d'Empédocle n'est pas plat, il est nécessairement conique.

     

     

     

     

     

    Références :

    Joscelyn Godwin : The harmony of the spheres, a sourcebook of the Pythagorean Tradition in Music

    Leon Crickmore : A possible Mesopotamian origin for Plato's World Soul,

    A Re-valuation of the ancient science of harmonics

     

      

     

     

     

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     NOTICE HISTORICO-CRITIQUE :

     

    L'ORIGINE DU TIMEE

     

     

    Platon plagiaire?

    Nous n'avons ni le loisir, ni les moyens de nous intéresser longuement à cette question historique, dans sa dimension potentielle d'enquête policière. Il nous semble que la querelle du Timée repose, à travers les âges, sur un fondement assez simple, qui est le sentiment que Platon n'a jamais fait montre, ni avant, ni après, du génie proprement scientifique qui éclate en quelques passages du Timée.

    Les premières accusations précises de plagiat furent lancées, quelques décennies après sa mort, par le talentueux satiriste Timon de Phlionte, cité par Aulu-Gelle :

    "Et toi aussi, Platon, le désir du savoir t'a saisi.

    A prix d'or, tu t'es approprié

    Un mince ouvrage dont tu as pris le meilleur,

    Et qui t'a enseigné la timéographie."*

    Elles furent ensuite relayées par divers auteurs anciens, tels qu'Hermippe de Smyrne, Satyros, Diogène Laërce, Jamblique, ou Proclus, qui attribuent l'ouvrage, les uns à Timée, les autres à Philolaos, mais aussi modernes, - jusqu'à nos jours. Plutôt discrets jusqu'au XXe siècle, les défenseurs de Platon n'ont, depuis, pas manqué de ressources, puisque l'un d'eux est même parvenu à la conclusion que plusieurs auteurs pythagoriciens de premier plan, comme Philolaos et Timée, n'avaient jamais existé, mais n'étaient que des personnages de comédie inventés par Platon. En raison de la circularité de son principe, il n'est pas rare que la méthode hypercritique, fondée sur la sempiternelle constatation que "nous ne savons rien, ou presque, de ce dont nous sommes professionnellement investis de vous entretenir quand même", accouche assez facilement de l'objet de sa pire hantise, à savoir des élucubrations les plus gratuites. Sans entrer dans le détail de cette controverse qui n'a, en elle-même, d'intérêt que pour les amoureux de Platon, - ou éventuellement pour ceux qui pourraient être aujourd'hui encore tributaires de ce supposé plagiat, en vertu du "déterminisme" inhérent à leur carrière universitaire, comme les rédacteurs de thèses sur le Timée, - on peut se contenter de remarquer qu'un "paquet" assez consistant de concepts pythagoriciens, d'un caractère nettement technique, tels que : paradigme, réceptacle, médiétés, âme du monde, harmonie, solides réguliers, symétrie hexagonale (triangle équilatéral), même, autre, mélange, etc, toutes notions qui sont organiquement subordonnées à la construction pythagoricienne, ou gnomonique, de la gamme musicale, objet de cet article, et que l'on trouve attestées ou corroborées par ailleurs, soit par des témoins solides de la tradition, soit par des éléments constants de la doctrine : - toutes ces notions caractéristiquement pythagoriciennes, donc, font avec le Timée leur apparition groupée dans l’œuvre de Platon, à une époque où celui-ci doit avoir entre soixante-cinq et soixante-dix ans, où il ne lui reste qu'un ou deux dialogues à écrire, et quelques années seulement après la rédaction du Phédon, dans lequel il avait entrepris de démontrer, au prix d'une certaine incohérence doctrinale, que la conception pythagoricienne de l'âme comme "harmonie" - qui est le postulat de base du Timée - était logiquement inconsistante, et qu'on devait lui préférer de beaucoup la conception de la connaissance comme réminiscence, (pourtant elle-même empruntée par Platon, selon toute vraisemblance, à la doctrine ésotérique orphico-pythagoricienne, bien qu'elle soit évidemment plus ancienne et à vrai dire sans âge, puisqu'elle appartient au registre des vérités métaphysiques éternelles, auquel s'abreuve tout enseignement traditionnel).

    On en conclura assez raisonnablement, peut-être, que la documentation de Platon en matière de théories scientifiques pythagoriciennes demeura, - jusqu'au Timée, -  très en retard sur ce que pouvaient être, par exemple, ses connaissances en matière de pythagorisme ésotérique, ce qui peut s'expliquer par deux raisons principales.

    D'une part, la "religion" orphico-pythagoricienne, même si elle relevait du secret initiatique, ne constituait pas un domaine réservé des pythagoriciens, puisque l'orphisme avait d'autres racines sur le sol grec, auprès desquelles on sait aujourd'hui que Socrate et Platon avaient pu recueillir diverses traditions orales; - tandis que tout ce que l'on sait du secret  "sectaire"  et scolaire proprement pythagoricien, est qu'il concernait, en premier lieu, le savoir scientifique : les théorèmes et les démonstrations. Certes, des contacts avaient existé entre l'école de Socrate et celle du pythagoricien Théodore de Cyrène, alors à la pointe du mouvement mathématique; mais, si l'on en juge par le Théétète, qui ne témoigne pas d'une compréhension bien profonde des questions soulevées par la spirale de Théodore, ces contacts ne semblent pas avoir été aussi étroits qu'on le suppose d'habitude. Quant à prétendre, comme certains n'hésitent pas à le faire, que Théodore fut le "professeur de mathématiques de Socrate, Théétète et Platon", cela nous paraît pour le moins abusif, car, si l'on s'en tient au récit de Platon, Théétète, informateur de Socrate, ne semble pas connaître la raison - pourtant très simple - pour laquelle la monstration de Théodore s'était arrêtée au nombre 17.

    Mais d'autre part cette relative négligence des questions scientifiques peut s'expliquer par la personnalité même de Platon, auteur qui fut dominé tout au long de sa carrière par des préoccupations d'ordre principalement esthético-moral. Les idées du Bien et du Beau sont en effet les seuls apports réellement originaux de Platon au patrimoine de la réflexion philosophique; et il faut convenir que ces préoccupations ont absorbé l'essentiel de l'effort qu'on a désigné, après lui, par le mot philosophie, avant qu'il ne s'épuise. Car, de fait, à bien y regarder, ce qu'on désigne couramment sous ce nom ne recouvre, la plupart du temps, qu'une certaine esthétique associée à une certaine morale, ou le contraire. Toute proportion gardée, la présence du Timée dans l'oeuvre de Platon peut donc apparaître aussi incongrue que le seraient, par exemple, un article de Gödel ou de Majorana (en l'occurrence : les deux à la fois) introduits par mégarde dans l’œuvre de Nietzsche ou de Bergson; - pour citer, peut-être, les deux derniers penseurs occidentaux à avoir arboré le statut de philosophe avec un semblant de crédibilité, le costume n'étant, manifestement, déjà plus adapté aux spécificités de l'"intellectuel" du XXe siècle, assigné à des tâches plus spéciales. "C'est seulement comme phénomène esthétique que l'existence et le monde sont éternellement justifiés" (La naissance de la tragédie). Avec la franchise qui le caractérise, Nietzsche admet son incapacité pure et simple à concevoir une forme de compréhension plus élevée, de même que Bergson ne pouvait concevoir la réalité autrement que comme une sorte d'"artiste" (L'Evolution créatrice). Et si l'on veut revenir à l'origine de ce mouvement intellectuel, qui prend sa source, comme on l'a dit, dans la philosophie éthique et esthétique de Platon, il faut être bien conscient que, du point de vue de la connaissance métaphysique, qui est celui où s'enracine la doctrine de Pythagore, les problèmes de cette nature, les problèmes éthiques et esthétiques sont, non seulement dépourvus d'intérêt, mais en un sens plus profond, qui demanderait certes à être explicité, ils sont dépourvus même d'existence.

    On pourrait nous objecter que d'autres auteurs, comme Kant, ne se sont "révélés" philosophiquement qu'à un âge assez avancé; mais l'argument ne change rien à la possibilité que, pour Platon, cette tardive "révélation" se soit produite à la lecture d'un traité de physique pythagoricienne, qu'il soit l'oeuvre de Timée ou d'un autre. Ajoutons que la construction de ce dialogue, maladroite et contournée, donne l'impression qu'une théorie scientifique de l'univers s'y trouve introduite un peu par hasard, comme une pièce rapportée; - pièce que l'auteur s'est contenté de faire précéder d'un échantillon sans surprise de son catéchisme personnel, selon lequel "Dieu, étant Bon, n'a pu créer le monde que Beau", sans égard pour le fait que la doctrine du Timée relève d'un postulat scientifique, d'un raisonnement hypothético-déductif, où le monde n'est supposé avoir été créé de telle manière, que parce que telle est la manière dont nous pourrions, ici et maintenant, le recréer nous-mêmes : point de vue qui est intellectuellement contradictoire avec ce type d'approche esthético-morale, lequel ne relève en soi que d'une forme assez inférieure de pensée religieuse.

    Pour une documentation plus fournie, on pourra s'en remettre à Luc Brisson, auquel a été dévolue, pour la période récente, la mission de défendre les prérogatives supposées de l'auteur Platon, (statut que le principal intéressé, précisons-le, ne semble pas revendiquer explicitement lui-même, en plaçant son récit sous l'autorité d'un pythagoricien italien, plutôt que sous le patronage de "Socrate", qui lui sert habituellement de pseudonyme), et qui a consacré à la question plusieurs articles dûment garnis de références. On pourra remarquer en les lisant que la méthode hypercritique a certains traits de ressemblance avec celle des révisionnistes : rien n'est prouvé, donc rien n'a jamais existé. Ainsi, pour Brisson, il n'est pas prouvé qu'Archytas ait été pythagoricien, et il n'est pas prouvé que le passage du Phédon sur la conception pythagoricienne de l'âme comme harmonie, concerne réellement la conception pythagoricienne de l'âme comme harmonie. A ce régime, nous pourrions aussi nous demander s'il est prouvé que la phrase que nous écrivons en ce moment soit bien réelle.

    L'affaire du plagiat de Platon inspire à Brisson une réflexion épistémologique de haut vol sur "la manière dont travaillaient les historiens de la philosophie dans l'antiquité", qui nous donne l'occasion de nous extasier sur la merveilleuse différence qui existe entre leurs méthodes de quasi-primitifs et "nos méthodes scientifiques actuelles". Le ton est donné : nous n'allons pas spécialement prendre connaissance des idées de M. Brisson, mais avant tout bénéficier de l'immense avantage que nous procure la lumière du savoir universitaire moderne, avec ses techniques reconnues et éprouvées. Pour Brisson, en effet, tous les témoignages de l'antiquité sont sujets à caution, et donc, à l'état brut, inutilisables, du fait que leurs auteurs étaient, malheureusement, ignorants de la véritable science historique. Avant même d'être examinés individuellement, ces témoignages doivent donc être regroupés dans un tableau analytique et classés par catégories, en fonction du genre d'aliénation ou de préjugés culturels dont pouvait être affecté leur auteur. Cette méthode, qui pourrait à première vue apparaître un peu simple, s'avère à l'usage d'une efficacité indiscutable. Habitué à se mouvoir à son aise sur les cimes de la philosophie grecque, le professeur Brisson, grâce à son tableau bien conçu, est ainsi parvenu à épingler en un clin d'oeil une bonne douzaine de ces prétendues "autorités anciennes", et à en démasquer la moitié comme de pathétiques affabulateurs, et l'autre moitié comme d'innocents perroquets, conditionnés à répéter ces contes de bonnes femmes. L'autre avantage de cette méthode étant qu'elle nous dispense, en tout état de cause, d'examiner de plus près ces infortunés auteurs et leurs ennuyeux ouvrages, comme elle nous dispense d'essayer de comprendre, par exemple, pourquoi plusieurs d'entre eux ont la manie de se déclarer "pythagoriciens", ou celle, encore plus loufoque, de considérer Platon comme un disciple de Pythagore.

    Car en ce domaine, il est bien connu que rien n'est prouvé, et donc, rien n'a jamais existé : ni Timée, ni Archytas, ni Philolaos....ni, davantage, la conception pythagoricienne de l'âme comme harmonie.

    Si ces remarques peuvent apparaître sans indulgence, elles ne sauraient occulter le fait qu'une partie importante de l'exégèse "vingtième-siécliste" de l'antiquité philosophique aura été dominée par le préjugé, aussi niais que désastreux, mais encore dominant à notre époque, selon lequel les anciens nous auraient été, à quelque égard que ce puisse être, intellectuellement inférieurs. Dans cette situation, il faut voir une conséquence du règne moderne de l'idéologie scientiste, avec son concept vulgaire du progrès et son culte idolâtre de la fausse "expertise", à laquelle correspond, dans son registre, une fausse exégèse, discours fondé sur une croyance en la magie des méthodes, qui, quoi qu'il veuille saisir, ne rencontre jamais que soi-même, et qu'il importe de bien distinguer de la véritable exégèse qui, elle, consiste toujours au contraire à accueillir les textes anciens dans leur signification naïve et intemporelle, en tant que ce qu'ils avaient à transmettre était important et simple, et peut nous être restitué ici et maintenant, et qui exige donc une sympathie, une intelligence et une implication personnelle du commentateur, bien éloignée d'un quelconque dogmatisme professionnel, jaloux de ses précieuses "méthodes" et, de ce fait même, cuirassé par un "recul historique", une "distance critique" dont on se passerait volontiers, vu leur caractère oppressant de taupinière intellectuelle.

    *

    Seul Platon, bien entendu, survit à l'épreuve de cette lessive historico-philosophique, révélatrice avant tout d'une compréhension très insuffisante des réalités mathématiques essentielles qui sont à la base du Timée, et qui font de ce traité ce qu'il est en réalité : l'aboutissement d'un immense effort scientifique interdisciplinaire, - musicologique, cosmologique, logique, mais aussi, par induction générale, relatif à la physique fondamentale, - effort commencé avec Pythagore, et poursuivi, par une tradition directe et ininterrompue, pendant cinq à six générations. Dans ce mouvement, le rôle de Platon, non négligeable, aura été de nous transmettre un dossier scientifique, malheureusement incomplet, dont l'origine italienne, à nos yeux comme à ceux de beaucoup d'autres, anciens comme modernes, n'a jamais fait l'objet d'insupportables doutes.

     

     

    Platon et Archytas : la rencontre du sophisme et du pythagorisme

    Les voyages en Italie de Platon, ses contacts - empreints d'une évidente méfiance mutuelle - avec Archytas et les derniers pythagoriciens italiens qui furent ses contemporains, et selon plusieurs l'achat (bien excusable, car, à sa place, nous aurions fait la même chose), de quelques livres pythagoriciens, lui auront donc, selon toute apparence, permis de combler tardivement ses lacunes en matière de science.

    Concernant ses rapports avec les pythagoriciens : même si Archytas a sauvé Platon du péril de mort où l'avait entraîné sa petite politique de "courtisan-philosophe" auprès de la famille des tyrans de Syracuse, (entreprise de longue haleine, puisqu'il a successivement et vainement tenté sa chance auprès des deux Denys, père et fils), on imagine la méfiance, sinon la condescendance que ce pythagoricien pouvait ressentir pour la nouvelle conception de la politique incarnée par Platon, associant la courtisanerie servile à une prétention "théorique" personnelle totalement utopiste - modèle d'"action" qui sera ensuite imité par Aristote auprès de Philippe de Macédoine, (avec plus de réussite, puisqu'au prix d'une renonciation complète à son "idéal théorique"), et qui est le style politique caractéristique de l'idéologie sophiste, mouvement intellectuel athénien auquel Socrate, Platon, et Aristote n'ont jamais cessé d'appartenir; en dépit du déni un peu naïf de la tradition philosophique occidentale à ce sujet 

    Aux antipodes de cette conception avant-gardiste de l'intellectuel comme "soliste libéral", Archytas, lui, comme la plupart des pythagoriciens des générations précédentes, était engagé dans une action politique de haut vol, et exerçait les plus hautes fonctions administratives, puisqu'il fut élu à sept reprises stratège de sa ville de Tarente avec les fonctions de roi. - Rappelons que les disciples directs de Pythagore ont régné pendant plusieurs décennies sur une bonne partie de la "Grande Grèce", région du sud de l'Italie dynamisée par un peuplement grec récent, et qui représentait alors pour le vieux monde grec un "nouveau monde", une terre d'aventure et de liberté propice aux expérimentations politiques. Les pythagoriciens contrôlèrent ainsi les puissantes cités de Crotone, Locres, Tarente, Métaponte et beaucoup d'autres, avant un soulèvement généralisé qui les chassa presque partout du pouvoir, hormis dans quelques poches résiduelles, telles que la cité de Tarente justement, à laquelle Platon dut sa survie.

     

    Particularité du mouvement sophiste

    Les dialogues de Platon relatent complaisamment la manière dont Socrate se livrait, avec les autres principaux "éducateurs" sophistes de son temps, à un véritable trafic de disciples, habituellement sélectionnés selon des critères explicites : de jeunes garçons beaux et riches, - des aristocrates tels que Charmide, Alcibiade ou Platon lui-même ayant été, notoirement, "distingués" selon ces critères. Il y avait là, assurément, un marché loin d'être négligeable, puisque les sophistes étaient réputés percevoir des salaires énormes : jusqu'à 100 mines pour des vedettes comme Protagoras ou Gorgias, soit cent fois le salaire d'un artisan. Ainsi, pour J-L. Périllié, les propos que Socrate tient à Théétète : "Il y en a beaucoup que j'ai donné en cadeau à Prodicos..." se réfèrent à "toute une pratique de mise en circulation des jeunes gens, pour ne pas dire des éphèbes, au sein d'un réseau sophiste." Le prestige de Socrate tenait en partie à une compétition objective existant entre les sophistes, sur le fait de savoir lequel d'entre eux s'était "attaché" les adolescents les plus mignons et les plus riches; car, en dépit de sa laideur légendaire et de ses origines pouilleuses, son tableau de chasse était sans égal. Vue la simplicité avec laquelle Platon en fait état, il n'y a aucune raison de penser que les choses aient changé à son époque, pas plus qu'à celle d'Aristote. Il n'est certainement pas abusif de parler du caractère vénérien - au sens étymologique - de la transmission du savoir en milieu sophiste. Ce sont là des réalités culturelles, propres à ce mouvement athénien, considéré aujourd'hui comme le berceau de la philosophie académique, qui, même si elles sont bien connues, méritent d'être rappelées de temps à autre; d'autant qu'elles offrent un contraste net avec la tradition pythagoricienne, réputée, d'une part, pour son "féminisme" quelque peu bizarre, d'autre part, pour les critères rigoureux selon lesquels étaient orientés et formés les étudiants, en fonction de leurs capacités purement intellectuelles, notamment mathématiques. Ces deux traditions s'avèrent donc antagonistes, même si elles peuvent avoir ça et là des racines communes. Dans la première, la transmission de la connaissance demeure attachée à certains modèles archaïques d'initiation rituelle, d'un type que l'on peut qualifier d'érotico-religieux. Dans l'autre - novatrice sur ce point - la nature purement intellectuelle du savoir scientifique est clairement revendiquée; et c'est donc la science elle-même, avec ses difficultés, qui est seule juge de l'aptitude de quiconque à devenir l'un de ses desservants. Enfin, dans la première, le développement des "écoles" de pensée se réalise sous la forme de petites entreprises professionnelles et commerciales, tandis que, dans la seconde, le développement des systèmes et des innovations personnelles s'accomplit à l'intérieur d'un même monde, qu'on pourrait appeler le monde pythagoricien, au sein duquel les individualités n'ont pas d'importance. Et de fait, aujourd'hui encore, la science pythagoricienne ne peut se comprendre autrement que comme un continuum, au sens mathématique du terme; (ce qui implique aussi, à travers les âges, une amitié et une fidélité, une association de confiances qui ont conduit à définir la nature de Pythagore comme "quelque chose d'intermédiaire entre Dieu et l'Homme") - Quant aux rapports commerciaux et vénaux, la fraternité pythagoricienne s'en était préservée dès l'origine, comme on sait, par une organisation sectaire favorisant un communisme spontané, de type familial. Ces remarques peuvent apparaître un peu simplificatrices; mais elles n'ont pas d'objet plus ambitieux que de pointer quelque uns des aspects par lesquels ces deux cultures sont hétérogènes.

    Dans le foisonnement des doctrines issues de la "révolution" sophiste, seul le mouvement cynique représente un foyer de résistance et d'attachement aux formes de la sagesse traditionnelle, notamment par la sublimité de sa doctrine morale, insurpassée à ce jour - morale essentiellement pratique, monstrative, gestuelle, visant à démolir de façon systématique les constructions "idéologiques" de la sophistique, et dans laquelle on peut certainement retrouver l'image de la véritable morale pythagoricienne, aux antipodes de la bouillie insipide que les néo-platoniciens ont prétendu reconstituer, et nous vendre pour telle.

     

    La fin de Platon

    La véritable histoire intellectuelle de Platon est tout autre que celle qu'on nous raconte. Platon fut, au soir de sa vie, littéralement écrasé par l'ombre de Pythagore, qu'il ne mentionne qu'une seule fois dans toute son oeuvre, et dont il a pu éprouver la prodigieuse fécondité intellectuelle au nombre des disciples qu'il avait conservé de son vivant, jusque dans son entourage le plus proche. De fait, à la mort de Platon, l'académie a fait l'objet d'un véritable "putsch" ou d'une "restauration" pythagoricienne. Le premier acte de Speusippe comme chef de l'académie a été d'envoyer aux oubliettes la doctrine platonicienne des idées, pour réaffirmer que les idées ne sont absolument rien d'autre que les nombres; et ramener tout le monde à l'étude de la décade et de la tétractys. Son successeur à la tête de l'académie, Xénocrate, sera lui aussi un pythagoricien pur sucre, sans héritier il est vrai; puisque l'école effectuera après eux un retour définitif au platonisme; mais c'est sous le règne de ces deux premiers scholarques qu'a été publié l'Epinomis, qui n'est pas seulement un manifeste pythagoricien, mais aussi, de façon assez évidente, un manifeste "anti-platonicien", ouvrage que personne ne songe plus aujourd'hui à attribuer à Platon, mais sur lequel son nom a été apposé par ses propres disciples sans le moindre scrupule... après tout, n'avait-il pas lui-même montré l'exemple avec le Timée? - Plus étonnant encore, on sait moins que l'école d'Aristote a, elle aussi, après la mort du maître, dû faire face à une tentative de subversion ou de putsch pythagoricien, qui n'a dû qu'à des circonstances aléatoires de ne pas connaître le même succès que la précédente, au prix d'une scission ou en tous cas dune "purge" au sein de la troupe des disciples d'Aristote. Et l'on peut aussi se rappeler que la secte pythagoricienne était déjà bien représentée dans la cellule de condamné de Socrate, dans le groupe des derniers amis à lui rendre visite, et prête à organiser sa fuite et son exil, à l'heure où le téméraire Platon soignait son rhume.

     

    La doctrine des idées

    D'un point de vue pythagoricien, la doctrine platonicienne des idées ne peut apparaître, aujourd'hui comme hier, que comme une construction inutile et confuse, destinée avant tout à recycler la doctrine du nombre à la moulinette de la "moraline" et de l'"esthétine", avec comme conséquence historique fatale, l'abandon de la philosophie naturelle inhérente à la véritable doctrine du nombre, - philosophie qui est, quant à elle, aussi éloignée que possible de quelque idéalisme que ce soit.

     

    L'héritage de Platon

    Platon n'a pas eu de disciple, en ce sens que ceux qui l'ont côtoyé physiquement, ceux qui l'ont vu vivre, ne se sont affirmés individuellement que par différentes formes de rejet de la pensée platonicienne. Platon n'a donc produit que des émules, des imitateurs, au premier rang desquels Aristote.

    En revanche, notre système éducatif actuel, qualifié avec justesse par Jean-Claude Michéa de système d'enseignement de l'ignorance, et héritier d'une longue tradition académique, peut certainement être considéré comme une tentative sérieuse de réaliser l'utopie platonicienne de la République : celle d'une société parfaite cimentée par des mensonges institutionnels.

    "C’est donc à ceux qui gouvernent la cité – si vraiment on doit l’accorder à certains – que revient la possibilité de mentir." (La République)

    Pour le philosophe Cédric Enjalbert, la réflexion sur le mensonge participe chez Platon à l’établissement de la justice dans la cité idéale. Il est utile aux hommes à la manière d’une espèce de drogue, car il possède les mêmes effets : accoutumance, stimulation et anesthésie, tous propices à tenir les hommes à leur place, comme des animaux dominés, dressés.

    Or tels semblent bien être, selon l'évidence, les principes qui ont inspiré depuis quelques décennies l'évolution de nos systèmes d'éducation.

    Stratégie que Jean-Claude Michéa résume dans cette formule, parodiant une maxime de Planck sur la vérité scientifique et ses adversaires :

    "Le mensonge ne triomphe jamais entièrement par lui-même, mais ses adversaires finiront bien par mourir."

     

     

    *La cité de Phlionte fut, avec celle de Thèbes, où l'exilé Philolaos avait reformé une "école" sur ses vieux jours, l'un des centres pythagoriciens les plus importants parmi ceux qui étaient actifs du vivant de Socrate et du jeune Platon. On peut donc tenir pour vraisemblable que Timon ait pu recueillir, dans cette cité marquée par l'influence des pythagoriciens, un certain nombre de documents ou de traditions locales, concernant une affaire de plagiat qui, selon les datations courantes, se serait produite environ trente-cinq ans avant sa naissance.

     

     

     

    Référence :

    Luc Brisson : Les accusations de plagiat lancées contre Platon.

    La particularité de ce texte est qu'il s'efforce de répondre à un problème historique bien précis : l'origine du Timée, tout en s'appliquant, dans le même temps, à en nier l'existence, ce qui implique que ledit problème puisse être "dissous" dans un flot de "rumeurs" du même acabit, toutes également dépourvues de fondement. Le texte obéit ainsi à une "double contrainte" dont il n'est, en soi, pas inintéressant de suivre le développement.

     

     

     


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    VIII. DU NOMBRE NATUREL

     

     

     

     

    Le nombre n'est rien d'autre que l'action de nombrer

     

    Qu'est-ce que le nombre?

    Le nombre est l'art de compter des oranges en les remplaçant par des noix, puis en supprimant les noix (pour ne plus considérer, par exemple, que la trace qu'elles ont laissé sur le sable). Le nombre est l'empreinte ou la signature des choses, comme celle des actions qui les ont produites. Le nombre est l'art de poser des objets indéterminés - des monades - en ne retenant que l'action de les poser. Le nombre n'est pas seulement poser, mais poser et conserver, poser en conservant le plan sur lequel les monades sont disposées. La monade n'est donc pas un objet parfaitement lisse, car même la première monade posée est pourvue de "phylactères" ou de "moustaches", qui sont les vecteurs, ou les tenseurs, de sa coordination et de sa conservation future dans un quelconque champ de consistance.

    Le nombre, écrit Brouwer, est un "coup de temps". Mais il faut préciser : un coup de temps qui a été enregistré, ou engrammé, pour être conservé avec d'autres.

    Les anciens étaient plus rigoristes que nous ne le sommes, en ne concédant le statut de nombre ni à l'unité, ni au zéro, ni à la dyade indéterminée, ni bien sûr à l'infini. La mathématique pythagoricienne proprement dite ne commence en effet qu'avec l'idée de Mi-lieu,  (ainsi, le gnomon, avec son milieu de référence qui est l'origine ou la graine, est une théorie de l'imparité en tant que fait mathématique primordial, pour laquelle l'imparité n'est pas une catégorie du nombre, mais une catégorie mathématique universelle dans laquelle tombent, originellement, aussi bien le nombre que la figure) ou encore avec les idées musicales de Mèse ou de Médiété : toutes situations dans lesquelles le vide, ou la virtualité continue de la dyade indéterminée, est déjà polarisé, en un point quelconque, par un centre de consistance - centre qui, en musique, se détermine en fonction du ton ou de la note tonique de valeur 1. Dans l'esprit des anciens, lorsque, par l'action de nombrer le nombre 1, commence réellement la mathématique, il existe déjà 3 choses : une dyade déterminée + un premier objet, lui aussi déterminé; par conséquent ce que la langue naturelle appelle le nombre 1 est en réalité le nombre 3. (Ou encore : le premier nombre, qui n'est autre que l'action même de nombrer, a déjà une structure triadique analogue à la lettre V ou au "coin" de l'écriture cunéiforme.) Mais un tel rigorisme nous astreindrait à séparer la mathématique de sa relation avec la langue naturelle. Chacun peut admettre, ou simplement postuler de façon provisoire, que le nombre 1 des mathématiques n'est pas la même chose que l'Un de la métaphysique, de la même manière que le signe zéro en mathématique est une chose différente du vide ou du néant de la métaphysique.

     

     

    Le mythe moderne de l'infini mathématique "en acte"

     

    Le cas de l'infini est, en revanche, plus embarrassant, pour deux raisons principales. D'une part, il existe déjà une catégorisation naturelle de "l'infini" mathématique, et naturalisée dans cette science même, qui est l'indéfini. Par conséquent, la coexistence de ces deux termes dans la langue mathématique pourrait donner à penser que le terme "infini" contient réellement quelque chose de plus que de l'indéfini; présupposé dont René Guénon a démontré l'inconsistance dans ses Principes du calcul infinitésimal. L'infini mathématique ne contient en effet rien de plus que cela même que désigne la notion d'indéfini, porté à saturation par une hypostase purement logique, mais non mathématique, en ce qu'elle ne correspond à aucune espèce d'effectuation ou de réalisation intellectuelle. La deuxième raison est que, si l'on naturalise le terme "infini" en mathématique, il ne resterait, d'un point de vue pratique, plus aucun mot français, pour désigner l'objet d'un genre de spéculation qui ne relève absolument pas des possibilités, des ressources propres de la mathématique, même si le symbolisme mathématique peut souvent lui servir de support.

    On pourrait nous objecter que le terme "indéfini" peut s'avérer, lui-même, d'un maniement délicat, en ce que la notion de limite définie d'une suite indéfinie correspond bel et bien, mathématiquement, à un seuil de clôture logique, associé à un certain rapport, et donc à un logos pythagoricien, qui confère à l'infini mathématique un statut analogue à ces autres positions logiques saturées du signe mathématique, que sont les "nombres" 1 et zéro. Toutefois, le cas de l'infini se distingue des deux autres, en ce qu'il ne peut s'effectuer que par un saut logique, un clignement de paupière qui sanctionne, irrémédiablement, l'extinction de la mathématique en tant qu'activité intellectuelle continue. Car on peut dire que la mathématique a, relativement à la science, une fonction comparable à celle que divers témoignages pythagoriciens attribuent au corps, relativement à l'âme, qui est d'être un poste de garde au sens épistémologique le plus fort, au sens d'une réalité qui, une fois posée, n'a pas vocation à disparaitre dans une occasion ultérieure, mais demeure désormais réellement là comme une chose continuellement subsistante.

    En réalité, la compréhension de la formule "limite définie d'une suite indéfinie" ne poserait pas de difficulté si, à l'expression habituelle de "passage" à la limite, qui suggère l'idée, mathématiquement fallacieuse, d'une résolution par glissement continu, on substituait celle de saut à la limite, qui rendrait compte de façon bien plus exacte du caractère de rupture et de discontinuité qualitative que revêt cette opération, (en elle-même non purement quantitative donc), correspondant au passage de l'indéfini au défini, passage qui n'a en rien le caractère d'une exhaustion effective, c'est à dire intellectuelle, de la nature du nombre, - telle que l'exigerait bel et bien la notion métaphysique positive et pleine de l'infini, - mais qui est au contraire une coupure et un repli, une projection aveugle et instantanée vers sa racine définie. Mathématiquement, la notion de passage à la limite ne signifiera donc jamais rien d'autre que l'idée que : "Si on pouvait le faire, il en serait ainsi, mais malheureusement, on ne peut pas"; - pour une raison que Zénon a illustrée dans chacun de ses paradoxes, dont le seul contenu logique substantiel, abstraction faite des conséquences aventureuses qu'il en déduit sur l'impossibilité du mouvement, consiste justement à montrer que la "courbe", la fonction ou la parabole de l'indéfini, ne rejoint jamais la "droite", l'horizon ou la barrière du défini.

    Quoiqu'il en soit de ces difficultés proprement linguistiques, la notion de passage à la limite demeure, à nos yeux, la seule approche légitime pour circonscrire l'infini mathématique; car, pour ce qui est des définitions "ensemblistes" ou "logicistes" de l'infini, formulées par les Cantor, Russel ou autres Zermelo-Fraenkel, elles ne nous paraissent recéler, sous leur apparente diversité, que de très simples et très semblables définitions logiques, d'un caractère purement formulaire et opératoire, du nombre naturel, (non nécessairement entier, mais simplement analogue à l'entier), c'est-à-dire du nombre considéré en tant qu'action générique de pensée, intégrant dans sa substance même ce principe de "récurrence indéfinie". Le nombre est par essence un événement qui se reproduit "autant de fois que vous voudrez". Si le problème de la "définition" mathématique de l'infini, agité par divers mathématiciens et philosophes du tournant des XIXe et XXe siècles, collégialement hypnotisés par l'idéologie progressiste de leur époque,  a occasionné pour eux, et subséquemment pour la "communauté scientifique" de laquelle ils se réclamaient, un certain traumatisme historique, bien qu'il n'ait jamais soulevé autre chose que l'eau tiède de l'indéfinité mathématique de Philolaos (apeiron), ce n'est que parce que la notion du nombre avait été auparavant vidée, par le préjugé candide de ces idéologues mêmes, de presque tout contenu substantiel, pour se réduire à quelque chose d'à peu près semblable au chiffre, ou à un pur signe conventionnel, comme elle peut l'être par exemple dans les "Fondements de l'arithmétique" de Frege, ouvrage qui n'est pas sans intérêt mais dans lequel il n'est, à la désillusion de son titre, à aucun moment question du nombre. En résumé, si la notion de "passage à la limite" - qui elle-même, précisons-le derechef, ne produit aucune réalité mathématique différente de ce que contient la notion "philolaïque" de défini, ou de limité (peras) - parvient, par un saut résolutif, à saisir l"'infini" mathématique par le seul côté où il soit possible de le faire, qui est évidemment le côté fermé, étroit, ou petit, de la dyade indéterminée, les tentatives de définition ensemblistes et logicistes de l'infini s'imaginent, elles, pouvoir le saisir par où il est logiquement impossible de le faire, savoir du côté ouvert, large, ou grand, de la dyade indéterminée, qui est le côté où ce prétendu infini se confond platement avec l'indéfinité du nombre naturel.

    Avec un peu de recul, on peut trouver étonnant que la notion d'"infini en acte" ait pu agiter les esprits d'éminents mathématiciens modernes, alors qu'il était parfaitement compris des anciens que cette expression même constitue, dans le contexte mathématique où elle est avancée, une pure et simple contradiction logique. Une telle idée, au sens propre paradoxale, ne peut résulter que d'une compréhension imparfaite de l'interrelation fondamentale des catégories du défini et de l'indéfini, - catégories qui n'ont pourtant rien d'exclusivement mathématique, puisqu'elles sont aussi trivialement logiques, et même grammaticales. Voilà, en tous cas, qui ne plaide guère en faveur du préjugé d'un progrès historique continu de l'intelligence scientifique; et l'on ne saurait occulter le fait que la foi dans le progrès puisse parfois constituer elle-même, pour nos modernes "spécialistes", un alibi commode à l'ignorance la plus complète de ce qui excède leur domaine spécial de compétence; - avec cette résultante implacable, qui est l'incapacité à remonter à l'origine des pensées sur lesquelles on prétend pourtant s'appuyer. De ce point de vue, une conception non aliénée de la sagesse conduirait à considérer la compartimentation du savoir moderne, et la spécialisation du savant qui en découle, comme des formes d'aliénation.

    On a vu, en particulier, que la "redécouverte" par les modernes, au terme d'un parcours semé d'embûches et de paradoxes, des quelques propriétés élémentaires du nombre naturel auxquelles se résume la "théorie des ensembles", avait étonnamment suffi à susciter chez eux un sentiment de déroute métaphysique, (voire, à son origine cantorienne, neuro-religieuse)(1), avoué par ses propres victimes sous l'appellation mathématiquement stupéfiante de crise des fondements, - expression qui, prise dans son sens littéral, équivaut à reconnaître que les "fondements" précédemment admis étaient inexistants. Et il ne faut sans doute pas chercher plus loin la raison cachée de la fabrication par ces mêmes modernes, (par une sorte de réflexe de défense "transférentiel" au sens freudien), de la "fable historique" d'une crise pythagoricienne des fondements, prétendument consécutive à la découverte, par les mathématiciens de cette école, de l'existence de grandeurs incommensurables... - fable dont le succès s'est perpétué jusqu'à nos jours, bien qu'elle paraisse historiquement absurde, et même incompréhensible. Car, comment imaginer que ceux-là même qui ont formulé la première définition mathématique rigoureuse, et toujours en vigueur aujourd'hui, de la commensurabilité (symmetria), aient pu être assez naïfs pour ignorer son contraire : la non-commensurabilité? Ou - selon une autre version possible de l'histoire - comment comprendre que ces mêmes pythagoriciens, "pétrifiés" par l'idée de l'incommensurabilité, aient pu être aussi les auteurs des premières démonstrations historiquement connues de l'existence de grandeurs incommensurables, cela dès le premier groupe pythagoricien avec Hippase de Métaponte, et jusqu'à la monstration magistrale de la spirale de Théodore, dont le principe consiste à installer ces quantités irrationnelles dans la tétractys? 

    Plus profondément, on sent bien que les notions même de "découverte" et de "crise" ne constituent, articulées comme elles le sont dans cette fable, que des anachronismes assez grossiers. Car en effet, il est impossible, en pythagorisme, de "découvrir" les choses par accident, à la manière dont Fleming a découvert la pénicilline, puisque celles-ci sont toujours conçues et produites à partir du principe qui est le leur, et comme un simple développement de celui-ci. Comme l'a écrit Clément d'Alexandrie, Pythagore a construit les sciences par une méthode purement intellectuelle, terme qui, dans la mentalité antique, ne signifie en rien ce qui est "abstrait" ou "éthéré", mais au contraire ce qui est clair et évident, parce que connu de soi-même. Par conséquent, une découverte, en pythagorisme, ne saurait en aucune façon être quelque chose de négatif ou de dérangeant pour les principes de la science, (auquel cas elle ne serait pas qualifiée de découverte, mais de faillite de l'intelligence), mais uniquement un développement ou une expression positive de ses principes a priori, tels qu'ils ont été antérieurement définis, comme c'est bien le cas pour les grandeurs irrationnelles dans la monstration de Théodore, et comme ça l'est aussi dans la tradition qui attribue à Pythagore d'avoir sacrifié un boeuf, après la "découverte" du théorème qui porte son nom.

     

    Sur ces remarques se conclut notre enquête sur les idées mathématiques de Pythagore.

      

     

    le 20 mai 2014

     

     

     

     

     

    (1) Une certaine surexcitation nerveuse n'est toutefois pas l'apanage de Cantor, puisqu'elle caractérise, dans une certaine mesure, le style scientifique et philosophique d'une famille d'esprits, les modernes, dans laquelle dominent des valeurs telles que la "table rase", la révolution permanente, ou encore l'originalité "personnelle" du penseur, son génie créateur, inventeur ou découvreur, bref : sa petite différence. - Abstraction faite de ces considérations, notre travail aura plutôt tendu à montrer qu'une bonne partie de la théorie des ensembles pouvait être "sauvée", et notamment, l'ensemble consistant de ce qui, dans cette théorie, (à laquelle Cantor aura apporté, comme tout un chacun, sa contribution d'ouvrier qualifié), était déductible de la théorie du gnomon et de la logique des tables de vérité : ensemble de possibilités mathématiques pures, dont l'avenir scientifique peut même apparaître assez prometteur.

     

      

     

    Références :

    Gilles-Gaston Granger : Formes, opérations, objets, Vrin, 1994.

    Jean-Luc Périllié : Symmetria et rationalité harmonique, origine pythagoricienne de la notion grecque de symétrie, L'Harmattan, 2008. 

     

     


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    VII. LA DOCTRINE DU MOTEUR IMMOBILE DE LA NATURE

    ou 

    Les principes de la physique pythagoricienne d'après Empédocle, Timée, Alcméon, Philolaos...

     

     

     

    La dialectique de l'Un et du Multiple

      

    On peut remarquer que, dans la série des objets monadiques, c'est l'objet qui est toujours le même, et l'opération chaque fois différente; tandis que, dans la série des objets premiers, l'objet est à chaque fois différent, mais l'opération : "poser un point dans une nouvelle dimension", demeure toujours la même. Donc, d'une part, la série monadique et la série additive des objets premiers peuvent nous paraître constituer, ensemble, un cas d'application des plus universels de la dyade indéterminée, dans lequel la série monadique occupe la position de l'un et du même, et celle des objets premiers, celle du multiple et du différent; mais d'autre part, chacune de ces séries se présente elle-même individuellement comme une application secondaire de cette même dyade indéterminée, dans une situation cette fois, où chaque terme, chaque pôle de la dyade, échange dialectiquement sa position avec celle de son antagoniste.

     

    série monadique (objets monadiques).................UN (même)

    objet un - opérations multiples

     

    série additive (objets premiers)................MULTIPLE (différent)

    objets multiples - opération une

     

     

     

    Le tenseur binaire empédocléen

     

    Cette dialectique de l'Un et du Multiple est au coeur de la pensée pythagoricienne. Le même processus qui est, ci-dessus, attaché à la construction des objets fondamentaux de la connaissance géométrique, se retrouve sur le plan de la science physique, associé à la doctrine du "premier moteur", ou du "moteur immobile" de la Nature. Un témoin clé de cette antique doctrine est le début du traité De la Nature d'Empédocle, où cette dialectique universelle est évoquée à plusieurs reprises.

     

    "Et il en va ainsi dans la mesure où l'Un

    a appris comment naître à partir du Multiple;

    et lorsque, de nouveau, de l'Un dissocié le Multiple surgit,

    là les choses renaissent pour une vie précaire; et,

    dans la mesure où elles pourvoient sans cesse à leur mutuel échange,

    elles demeurent ainsi, en cercle, immobiles."

     

    Dans cette dialectique, les catégories qui étaient précédemment celles, mathématiques, de l'Objet et de l'Opération, sont remplacées (par une transposition analogique qui se traduit aussi par une généralisation), par celles de l'Espace et du Temps - qui sont logiquement implicites, bien que non nommément désignées dans le fragment ci-dessus - en tant que cadre général de la science physique. Bien que cette théorie "empédocléenne" du moteur immobile soit relativement méconnue de nos jours, son importance doctrinale est de tout premier ordre, puisqu'elle se rattache aussi bien aux spéculations de Philolaos sur la dyade Limite-Illimité, qu'à la dialectique du Même et de l'Autre du Timée de Platon, avec l'ensemble de spéculations cosmologiques qui l'accompagne, - ces deux dernières théories ne constituant d'ailleurs que des rameaux voisins d'une même branche de la tradition. L'importance de cette doctrine pour les anciens ne fait pas de doute, puisque la notion de moteur immobile s'est conservée, du moins en tant que réquisition logique de la science physique, dans les systèmes de Platon et d'Aristote, malheureusement sans bénéfice sur les idées physiques de ce dernier.

    La doctrine du moteur immobile est, en effet, le cadre dans lequel la notion pythagoricienne de symétrie reçoit son développement physique et cosmologique le plus universel et complet, puisqu'il est celui de la mise en correspondance entre les symétries de temps, comme celles du système des médiétés musicales, et celles de l'espace, comme celles qui sont déployées dans la théorie du gnomon ou dans la géométrie des polyèdres. Ainsi, dans le Timée, ce sont les rapports harmoniques de la gamme pentatonique qui fournissent l'échelle sur laquelle sont disposées les sphères des planètes et des étoiles fixes, sphères qui sont disposées comme autant de gnomons concentriques autour d'un centre qui est la terre. Mais il ne faut pas oublier qu'en pythagorisme, les tons de la gamme sont avant tout des coordonnées de temps relatif, de sorte que, ce qui dans la fable platonicienne du "démiurge" (qui n'est, bien évidemment, qu'une figuration du moteur immobile lui-même), se présente comme une "grille" ou un "plan" synchronique de l'univers, doit bien plutôt être envisagé comme un programme diachronique, où les intervalles entre les astres correspondent, biunivoquement, au temps, en tout cas relatif, de leur genèse ou de leur déploiement logique dans l'espace; car le Timée n'est pas seulement une théorie sur la forme de l'Univers, mais sur sa formation et son histoire, les deux problèmes étant logiquement confondus, dans une démarche dont on ne mesure pas toujours suffisamment l'amplitude scientifique.

    Etant données les idées tantôt délirantes, tantôt simplement confuses qui ont pu fleurir sur le sujet, il convient d'insister sur le fait que le fameux programme pythagoricien de la "musique des sphères" se résume à un enjeu parfaitement technique : associer le problème de la genèse et de la formation des astres du système solaire (avec comme "plafond" topologique, la sphère extérieure dite des "étoiles fixes"), à celui de la construction mathématique des tons de la gamme; programme qui n'est pas du tout fondé sur la croyance en une quelconque finalité "esthétique" de l'univers, comme se l'imaginent naïvement certains, (l'invasion des préoccupations esthétiques et morales dans des domaines de science où elles n'ont rien à faire étant d'ailleurs en grande partie imputable à Platon lui-même), mais sur un postulat transcendantal, d'ordre purement logique et inductif, qui est que l'espace et le temps ne peuvent, par leur nature même, se développer que de façon symétrique et coordonnée (ou encore : "duale"); postulat de symétrie qui s'applique de la même manière à l'espace-temps empirique et sensible de l'univers physique, qu'il s'applique à l'espace-temps intelligible, a priori, de la mathématique. Car cette correspondance temps-espace est, en réalité, immanente à l'ensemble de la mathématique pythagoricienne, dont elle est le principe moteur : un point de l'espace, un coup de temps;  - une figure, un pas; - un objet, une opération; - une planète, une note; et elle est étayée sur le plan des principes les plus généraux de cette mathématique, de manière "synthétique a priori", par la relation de supersymétrie qui existe entre les objets premiers de la géométrie (point, segment, triangle équilatéral, tétraèdre) et les accords fondamentaux de l'harmonie (unisson, octave, quinte, quarte), évoquée sur notre premier blog.(1) Le système du Timée n'étant, d'ailleurs, qu'un survivant chanceux parmi plusieurs autres élaborés dans l'antiquité, généralement héliocentriques, dont les origines sont effacées, mais dont la tradition musicologique de l'Occident a conservé des traces, notamment à travers les divers systèmes symboliques qui associent, à chaque note de la gamme, une planète du système solaire et un jour de la semaine : paradigme dans lequel le programme de la "musique des sphères" cohabite cette fois, sans obstacle technique insurmontable, avec celui des "jours de la création" de la tradition biblique. Au reste, le Timée lui-même n'est peut-être pas aussi chanceux qu'on le suppose d'ordinaire, car, en le lisant, on ne peut se défaire de l'impression gênante que Platon n'a compris que de manière imparfaite le texte qu'il transmet à la postérité, sous une forme sans doute assez remaniée.(2)

    Avant de revenir à Empédocle, on pourra remarquer que, dans l'esprit de cette doctrine du moteur immobile, le terme "immobile", dont l'usage est traditionnel, serait mieux rendu par l'expression "non-mû", puisqu'il ne signifie pas, en son sens rigoureux, ce qui est privé de mouvement, mais ce qui n'est mû par rien d'autre que soi-même. De la même manière, l'expression "moteur", qui apparaît, dans son inspiration, quelque peu scolastique ou aristotélicienne en ce qu'elle se concentre sur la relation de causalité logique entre le Non-mû et le Mû, pourrait être avantageusement remplacée par celle de "tenseur", plus opératoire, en ce qu'elle assume plus immédiatement la dimension mécanique du problème que la science a posé à l'univers. Dans la conception grandiose qui est celle d'Empédocle, de Philolaos et de Timée, le cycle entier de l'espace-temps dont relève notre univers manifesté, correspond à une simple "pulsation" du moteur immobile, un bref scintillement - d'ailleurs illusoire sous un certain rapport - de la couronne appelée Harmonie, où "vivent les Sirènes", dans un éternel présent où n'adviennent jamais ni altération, ni changement. En effet, la cosmologie, en tant qu'elle est le cadre de l'achèvement de la connaissance positive, est aussi celui de son annulation au sens logique le plus transcendantal, et donc, de son "renvoi" ou de sa "réintégration" dans un registre de réalité supérieur, qui est l'objet de la connaissance contemplative, - de la connaissance symbolique et ésotérique. Car, si la tétractys ressemble en quelque manière à l'éternité, c'est parce que l'éternité elle-même est semblable à une façade ornée de sculptures, semblable à un tableau de pierre, figé, hors du temps; sauf que celui qui examine avec attention ces sculptures y distingue, très clairement, l'infini des mondes possibles, infini comprenant aussi bien les mondes du genre de celui que nous avons sous les yeux, que d'autres, encore plus agréables à considérer, parce que dotés d'une existence plus permanente, mais qui n'ont, quant à eux, aucune vocation à se manifester. (3)

     

     

     

    Le postulat de la science

     

    Mais pour nous, ce qu'il faut retenir de l'enseignement pythagoricien transmis par Empédocle est l'idée que, si l'univers est connaissable, c'est parce que le processus complet de son déploiement spatio-temporel, en tant qu'action une et entière, - bien  qu'intérieurement binaire, puisqu'elle a la forme d'un aller et retour, dans lequel une phase de contraction, ("inhibitrice", "centripète" ou "fermante", selon le point de vue chimique, physique ou mécanique selon lequel on choisit de l'envisager),  précède une phase d'expansion, ("activatrice", "centrifuge" ou "ouvrante") - ce processus est essentiellement analogue à celui de la construction de la pensée mathématique, en tant qu'elle s'exprime en particulier par une production d'objets : postulat qui se confond donc avec celui de la science, au sens "dur", prédictif et quantifié, que ce terme revêt habituellement de nos jours, et qui correspond, du reste, plus ou moins, à ce que les anciens entendaient par "physique", à savoir une connaissance organique, à la fois générale et unitaire, de la Nature.

    Pour comprendre la valeur de cette analogie, il faut avoir à l'esprit que, dans la conception que nous avons présentée plus haut comme celle de Granger, la dualité Objet-Opération - illustrée ci-dessus en mode pythagoricien par l'exemple de la construction des objets fondamentaux de la géométrie - a elle même clairement la fonction de moteur immobile de la mathématique, puisqu'elle apparaît comme le véhicule de la "retroussabilité" indéfinie de cette science, comme le vecteur et l'incitateur constant de sa possibilité interne de croissance, de développement indéfini; - moteur dont la "puissance" ne réside pourtant que dans la seule pensée qui l'investit. C'est dans ce sens que l'on doit comprendre que, pour les pythagoriciens, la pensée du mathématicien qui s'engage dans le champ des opérations et des objets mathématiques, reprend ou reproduit réellement l'action de la pensée (ou de la "tension") qui a produit l'univers. Dans le Timée, le moteur immobile de la nature a une forme nettement vitaliste, puisqu'il porte le nom d'âme du monde - l'univers est pour Platon un être vivant; - mais il peut aussi être vu en tant que pensée motrice, "énergie", ou encore en tant que pensée formatrice, c'est-à-dire "moule" ou "réceptacle"(4), ces différentes façons de voir n'étant pas contradictoires, puisqu'elles se rapportent à différents attributs de ce dont il s'agit.

    Dans le système d'Empédocle, les deux grandes tensions qui, à l'échelle macrocosmique, se succèdent pour rythmer la vie de l'univers entier, se retrouvent à toutes les échelles inférieures, où domine la loi du "mélange", et où, sous des noms que l'on traduit habituellement par Amitié et Haine, mais qui ont ici la signification physique plus générale d'attraction et de répulsion, ces deux mêmes tensions gouvernent les naissances et les dissolutions de tous les êtres particuliers.(5) Toutefois, en vertu de l'analogie du microcosme et du macrocosme, tout ce qui advient dans une sphère inférieure, ou intérieure, sous l'apparence du chaos, du hasard ou du mélange, n'est qu'illusoire sous un certain rapport, puisque relativement au tout ou à l'enveloppe extérieure du "sphaïros", ces accidents particuliers apparaissent simplement comme les conditions de l'accomplissement de l'Harmonie éternelle.

    Pour Empédocle, "les générations humaines", dans leur ensemble, se situent dans une période où la haine reflue "vers les bords du cercle". Autrement dit, vers la fin d'un mouvement d'expansion, qui n'est pas nécessairement le mouvement global, mais qui peut être un mouvement d'inspir-expir appartenant à une division "cellulaire" inférieure de l'univers, comme le suggèrent certaines indications de son texte. Dans cette perspective, en tous cas, il semble aller de soi que la séparation ontologique à peu près complète qui s'est établie dans la conception des modernes entre les règnes "minéral", d'une part, et "vivant", d'autre part, (catégorie incluant les deux sous-catégories du végétal et de l'animal), - séparation qui, en raison de sa nature paradoxale, les conduit régulièrement à rechercher à la vie une cause extérieure à la "normalité" du processus physico-chimique qui a produit cette terre, sur la base d'un préjugé assez vague touchant la prétendue "rareté" ou l"improbabilité" statistique du phénomène, (préjugé qui est en soi totalement dénué de fondement), comme s'ils voulaient écarter l'hypothèse au moins aussi vraisemblable, que les mondes abritant la vie ne soient pas plus rares, dans la carrière de l'univers, que les fruits dans celle d'un arbre - cette séparation artificielle n'a aucune raison d'avoir cours ici, puisque, pour Empédocle comme pour d'autres anciens, les germes de la vie semblent bien se former dans le repli du minéral, inscrits dans son devenir le plus intime.

    Conformément à la thèse officielle d'Aristote et de Théophraste selon laquelle les présocratiques étaient des "physiciens", dans un sens restrictif et péjoratif qui relève bien évidemment de la calomnie pure et simple, la plupart des modernes se sont concentrés, chez Empédocle, sur sa doctrine des quatre éléments, (avec d'autant plus d'imprudence que la doctrine des éléments est un domaine qui, chez les anciens, relève la plupart du temps de la spéculation ésotérique),(6) alors qu'ont été beaucoup plus négligées ou ignorées, d'une part, sa métaphysique, malgré la concordance presque continue de cette dernière avec celle du Timée, et d'autre part, la perspective réellement scientifique de son positionnement de physicien, qui fait que le langage d'Empédocle parle encore, sans qu'on doive s'en étonner, à certains physiciens quantiques de notre temps.

    Ce langage se distingue, avant tout, par son organisation bipolaire.

    D'un côté, un pôle harmonique : le Sphaïros, qui, bien qu'il soit immuable et éternel, puisqu'il se réduit à une constante arithmologique universelle, ne représente, du point de vue de la connaissance positive, que le produit continu ou le "zéro logique" correspondant, à chaque instant du temps, à la neutralisation de l'ensemble des opérations particulières qu'il héberge dans son sein, "dans la mesure où elles pourvoient sans cesse à leur mutuel échange". A cette notion correspond, de toute évidence, le principe moderne d'invariance, qui est, avec celui de symétrie (dont il est une expression particulière), le sésame de toute la physique moderne. Selon Hermann Weyl il n'existe aucun problème physique qui ne se réduise, formellement, à un problème de symétrie.

    De l'autre côté, un pôle chaotique, dont la fonction topologique est comparable, si l'on veut, à celle d'un entonnoir ou d'un siphon, capable de transformer une multiplicité discrète en unité continue, et dont le substrat logico-physique est le vide; - pôle qui, à l'échelle "mésocosmique" qui est celle de la vie et de la nature humaine, (nature néanmoins investie de la valeur d'exemple, en tant que représentant quelconque de l'ensemble "gigogne" continu et fluide auquel elle appartient) porte le nom de Mélange, dont l'archétype est la reproduction sexuée, mais qui, à des échelles inférieures ou supérieures, pourrait être rendu par les idées de précipitation, d'accrétion ou d'agglomération, - dont la gravité newtonienne peut donc elle aussi constituer un aspect, ou un exemple, - et à l'échelle de la constitution des éléments premiers de la matière, par celle de cohésion ou de cohérence.

    On a là un langage à vocation algébrique, et d'une extension universelle en ce qu'il vise à définir par une action déterminée tout ce qui, à quelque échelle de la nature que ce soit, se présente comme unité, "monade". Bref, Empédocle est sans doute le premier pythagoricien à avoir sérieusement tenté d'envisager le monde comme le résultat d'une expérience physique, avec ce caractère de "coup de dés", d'action entière et complète "dégringolant" en elle-même, que le problème a conservé dans l'imaginaire de la physique moderne... mais dans l'imaginaire seulement; car, en réalité, aussi longtemps qu'une science demeure ignorante des lois qui gouvernent son objet en tant que totalité, elle ne peut que rester hésitante, sans boussole, au moment de se prononcer sur la nature des plus petites parties qui le composent, quelle que puisse être sa capacité pratique à les "traquer" par les expérimentations les plus variées.

     

    *

     

    L'histoire de la science occidentale est comparable à celle d'un livre dont l'auteur aurait oublié les pages à mesure qu'il les écrivait, tout absorbé par l'excitation du chapitre en cours. Privée de cette adhésion minimale à elle-même, elle s'est condamnée jusqu'ici à une forme d'éternelle adolescence, orpheline de sa propre intelligence, de son intention même. 

    Ce déni obstiné de ses origines ne saurait empêcher la science physique d'être reconduite tôt ou tard, de manière inéluctable, vers le foyer de ses origines. Aspirée par cette table de la loi qu'est le principe de symétrie, avec comme associé le principe d'invariance et de conservation, formulé pour la première fois par Empédocle dans le fragment qui nous a servi ici de guide, la physique quantique apparaît déjà comme un véritable "zoo" de structures pythagoriciennes, parmi lesquelles on peut relever, en théorie des quarks, la structure tétractyque du baryon de spin 3/2, comme l'ensemble organique de structures auquel elle est rattachée, ou encore, en théorie des cordes, la dimension "gnomonique" 496 des groupes de symétrie  SO (32) et E8 x E8, impliqués dans les différentes versions de cette théorie, signalée sur ce blog par Stephen Phillips, - sans même mentionner la "décadimensionnalité" de cette même théorie.

     

    La doctrine du moteur immobile

     baryon de spin 3/2

     

    Mais de tels sujets, comme on le voit, nécessiteraient une étude plus développée, qui nous entraînerait trop loin du point de vue principalement mathématique auquel nous entendions, autant que possible, nous limiter ici.

     

     

     

    (1) Voir : L'invention de la théorie musicale.

    (2) Sur la musique pythagoricienne en général, aussi bien sur le plan de la résolution des questions techniques, que sur celui de l'exégèse symbolique et ésotérique, les travaux pionniers de Jacques Chailley sont incontournables.

    (3) Sachant que l'infini, à son entrée, est étroit "comme le cul d'une mouche", l'ésotérisme a lui aussi, en pythagorisme, son moment opportun. D'où l'injustice du reproche adressé à Pythagore par divers ignorants, de "tout mélanger", - reproche qui pourrait souvent leur être retourné, avec plus de raison. Cette réserve faite, le pythagorisme est une initiation scientifique, dont les conclusions métaphysiques ne diffèrent pas de celles d'autres formes d'initiation existantes.

    (4) Voire encore, par une voie qui est plus ésotérique, mais non moins scientifique que les autres, en tant que parole ou action verbale.

    (5) La mort des êtres vivants étant considérée comme une dissociation, sans perte absolue. Mourir, c'est partir en morceaux, dont chacun, selon sa nature, est susceptible d'être "réemployé" dans une autre configuration.

    (6) Compte tenu de l'incompréhension assez générale dont témoigne, sur ce sujet, la critique historique et philosophique, il n'est peut-être pas inutile de préciser que les éléments : feu, air, terre, eau, dont chacun de nous a l'expérience, ne sont pas, pour Empédocle, les bases ou les constituants ultimes de la réalité physique du monde, mais seulement leur reflet ou leur réverbération symbolique (au sens le plus technique) au sein du "mésocosme" habité par l'homme, comme l'exprime avec justesse la première de ces opinions d'Aétius, et beaucoup plus maladroitement la seconde : "Empédocle déclarait qu'antérieurement aux quatre éléments, (c'est nous qui soulignons) il existe des fragments infiniment petits, qui sont pour ainsi dire des éléments homéomères précédant les éléments." "Empédocle et Xénocrate pensent que les éléments sont constitués par l'assemblage de masses plus petites, qui sont des minima et pour ainsi dire des éléments des éléments." - Sauf qu'à l'échelle du mésocosme humain, les quatre éléments en question ne sauraient, en aucun cas, être considérés comme des agrégats de particules "homéomères", mais seulement comme la réapparition, comme une "résurgence locale" des différents états possibles de la matière, c'est-à-dire des différentes possibilités de cohésion ou de cohérence formelle qui lui préexistent, précisément, à l'échelle microcosmique qui est celle de la constitution des particules élémentaires - elles seules "homéomères". Malheureusement, la doxographie d'Empédocle ne s'est jamais affranchie de la tutelle d'Aristote qui, bien que surtout préoccupé de défendre, pour la malchance des siècles futurs, les bégaiements infantiles de son propre système cosmologique, est néanmoins parvenu à imposer à la plupart des commentateurs ultérieurs sa perception bornée et caricaturale de la pensée du Sicilien.

     

     


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     VI. LA MONADE

     

     

     

    Objets premiers et objets monadiques

     

     

     

     objets premiers : point, segment, triangle équilatéral, tétraèdre

     

    A la série des objets premiers de la géométrie, construits par l'addition de monades, correspond, dans son ordre, la série des objets monadiques, construits, eux, par différentes déformations ou transformations de la monade; série dans laquelle s'applique, là aussi, la contrainte pythagoricienne de dualité, exigeant que soit associée à la définition des objets géométriques, celle des actions, ou des opérations de pensée qui les engendrent.

     

    1. poser - point

    2. étirer - segment

    3. étaler - disque

    4. gonfler - boule topologique

     

    La monade

    objets monadiques

     

    Cette série d'objets se distingue de la première par deux traits essentiels, d'une façon qui est totalement indépendante du fait que les deux séries possèdent deux objets en commun. D'une part, ses éléments ne peuvent être appelés "objets" qu'en un sens relatif, et par une transposition analogique, puisque, au sens strict, et au regard de leur commune unité arithmétique, ces objets ne correspondent pas réellement à des êtres mathématiques différents, mais bien plutôt à différents états d'un seul et même être qui est la monade : "monade posée", "monade étirée", "monade étalée", "monade gonflée"; de sorte que la série entière des objets monadiques peut apparaître comme un développement particulier qui ne concerne, en somme, que le seul premier élément de la série des objets premiers. En second lieu, dans cette série, les actions 3 et 4 ne sont pas dépendantes de celles qui les précèdent immédiatement, mais sont conduites directement à partir de la première. Ce second point entraîne d'importantes conséquences.

    La contrainte pythagoricienne de dualité revient, en pratique, à attribuer à chaque objet géométrique une coordonnée de temps. Or, alors que la série des objets premiers se développe et parvient à saturation en quatre temps d'action enchaînés, la série des objets monadiques sature à chaque fois, elle, en 2 temps d'action seulement. Les objets 2 à 4 pouvant tous être déployés, en un coup de temps, par l'expansion isométrique d'un point à partir de son "lieu" d'origine, (car la même logique doit prévaloir, pour la construction monadologique du segment, que celle qui prévaut pour les autres membres de la série, de sorte que les limites de cet objet doivent être conçues comme se déployant à partir du point qui est son centre) le système ne contient que des positions saturées de type "1" (point) ou "2" (toutes les autres), et relève donc d'un mode d'expression plus immédiat de la dyade indéterminée, dans lequel le "dyadique" se présente à chaque fois comme un choix binaire.

    L'idée revient de façon insistante dans la tradition pythagoricienne, que la monade et la dyade indéterminée engendrent tous les nombres, ce qui, en bonne compréhension pythagoricienne, revient presque à dire : tout le reste de la mathématique. Concernant, toutefois, l'antériorité de l'une par rapport à l'autre, il convient d'être plus circonspect. Si la monade semble précéder la dyade, ce n'est que du point de vue en quelque sorte "phénoménologique", et déjà déterminé, qui est celui de la mathématique elle-même, mais, relativement à cette même science, elles apparaissent coéternelles, du fait qu'elles relèvent d'un ordre plus universel, au sein duquel elles résultent ensemble d'une troisième "chose", insaisissable, et indifférenciée. Dans l'ordre dont il s'agit, on peut simplement admettre que la dyade représente le principe de l'Ordinalité, et la monade, celui de la Cardinalité; or ces deux notions ne sont réellement au nombre et à la mathématique - comme cette tradition le dit - rien de moins qu'une mère et un père, de sorte qu'il est impossible à cette science de les isoler l'une de l'autre sans y perdre son contenu premier, sa substance même, comme l'illustre de façon exemplaire la structure du gnomon, dans laquelle chaque cardinal impair est associé à une paire d'ordinaux, respectivement entier et carré.

      

     

     

    La synthèse des objets monadiques et la représentation mathématique de la situation naturelle de l'homme

     

    Tout comme la série des objets premiers peut être rassemblée synthétiquement dans les dix points de la tétractys, où chaque objet correspond biunivoquement à un étage ou un rang déterminé de cette structure, la série des objets monadiques peut, elle aussi, être recueillie synthétiquement dans une seule pensée, mais il est à remarquer que, parmi les formes que peut revêtir cette représentation synthétique, il en est une qui l'emporte sur les autres de façon décisive, de par sa relation avec une certaine description mathématique de la situation naturelle de l'homme. Et ce, comme on va le voir, selon trois modes de généralisation différents de cette situation ou "nature" humaine, correspondant à trois degrés  successifs de son développement cosmologique universel.

    Un point de mathématique précisé par René Guénon revêt ici une grande importance, qu'il convient de remémorer.

    En tout point de l'espace, il ne passe qu'une seule droite verticale, mais une indéfinité de droites horizontales; tandis que, dans le même point de l'espace, il ne passe qu'un seul plan horizontal, mais une indéfinité de plans verticaux. Ce qui signifie pour nous que les dimensions 2 et 3 de l'espace pythagoricien, ou encore les objets 2 et 3 de la série des objets monadiques, se trouvent, dans la situation de l'homme, déjà montrés, distingués, voire exemplifiés par la structure de l'espace lui-même.

    La représentation synthétique la plus naturelle de la série des objets monadiques consiste donc à matérialiser, dans une sphère de dimension indéfinie (objet 4), d'une part, un axe polaire vertical (objet 2), et de l'autre, un plan discoïdal horizontal orthogonal à celui-ci (objet 3), sans oublier le point central (objet 1), situé à l'intersection de ces deux derniers objets, qui est à la fois l'origine et le centre géométrique de chacun des trois autres membres de la série.

     

    1. Le développement continu de la tétractys

     

    De ce point de vue, la boule peut apparaitre comme le seul objet monadique dont on puisse dire de plein droit qu'il est le gnomon du point qui est son centre - en supposant que ce point puisse être soustrait du volume de celle-ci -,  puisqu'il est le seul dans lequel les possibilités de développement du point s'expriment en tant que totalité "clôturée".

    C'est le même symbolisme mathématique qui est ensuite transporté, naturellement, dans la représentation de la situation de l'homme par rapport à la terre, selon les premières applications que peut prendre le paradigme des 6 directions de l'espace, où l'axe vertical correspond, d'abord, à l'axe "haut-bas", ensuite à l'axe "zénith-nadir", tandis que le plan horizontal correspond à celui déterminé par la structure d'une croix, formée, dans le premier cas, par les axes "droite-gauche" et "devant-derrière", et dans le suivant par les axes "nord-sud" et "est-ouest". Ce symbolisme se reporte  ensuite, de manière identique, dans les représentations de l'orientation de la terre dans l'univers, où alors l'axe vertical sera d'abord celui de la rotation de la terre, ensuite celui de sa révolution autour du soleil, et par extension tout axe de même nature, tandis que le plan horizontal sera, selon le cas envisagé, celui de l'équateur, celui de l'écliptique, ou par extension tout autre plan de même nature. Dans toutes ces représentations sont donc privilégiés un certain axe polaire vertical, représentant en quelque sorte électif de la dimension pythagoricienne "2" ou de la droite, et un certain plan discoïdal et horizontal correspondant (qui n'est au fond horizontal qu'en vertu de la verticalité hypothétique de son prédécesseur "polaire", par une dépendance purement logique et relative), plan habituellement divisé en "quartiers" au moyen de deux axes orthogonaux entre eux et formant une croix horizontale, qui se présente de façon similaire comme un représentant électif, ou supérieurement exemplaire, de la dimension pythagoricienne 3. Ces réalités sont en effet privilégiées parce qu'elles correspondent, très simplement, et sans aucun reste, au tableau logique quaternaire de la situation de l'homme, et à son transport ou à sa transposition analogique à différentes échelles de la nature cosmique. Chacune de ces représentations a pour résultat de définir un espace "euclidien" clos et complet, entièrement paramétrable, coïncidant avec la possibilité d'expansion indéfinie du sphéroïde de rang 4, en fonction d'un point qui est son centre (objet de rang 1), point qui peut lui-même être défini par l'intersection des objets de rang 2 (axe vertical polaire) et 3 (plan discoïdal horizontal). Ceci méritait d'être précisé pour ceux qui se demanderaient encore si cette représentation synthétique des objets monadiques, constituant une application de la tétractys, pouvait d'aventure relever d'une quelconque "convention". Car en effet, la tétractys n'est pas une construction intellectuelle forgée par un quelconque acteur individuel de "l'histoire des sciences", mais une réalité naturelle dans laquelle l'homme se reconnaît plongé à chaque fois qu'il y pense, parce qu'il la rencontre à la racine des idées qui sont en lui.

     

    1. Le développement continu de la tétractys

     

    Bien qu'il soit impossible de leur donner ici un développement plus détaillé, on peut donc recomposer comme suit les moments logiques selon lesquels se forme la notion mathématique de l'espace naturel.

     

    Niveau 0. Mathématique. Degré de la possibilité pure a priori            (vertical) - (horizontal)

     

    Niveau 1. Situation gravitationnelle et chirale de l'homme         (haut-bas) - (droite-gauche-devant-derrière)

     

    Niveau 2. Situation de l'homme par rapport à la terre       (zénith-nadir) - (nord-sud-est-ouest)

     

    Niveau 3. Situation de la terre par rapport à l'univers     (tout axe polaire de rotation ou de révolution) - (tout plan horizontal correspondant)

     

    Par des développements successifs, la monade assume ainsi, de proche en proche, la fonction de paradigme universel de la situation de l'homme; elle est la forme par laquelle il s'inclut dans la série des "astres", des "objets intéressants" de l'univers, qui ont comme lui le statut logique de monade.

    En tant que représentation universelle de la relation de la partie au tout, la monade est déjà, nécessairement, une représentation de ce Tout, de cet Univers auquel le statut logique de monade est aussi dévolu.

     

    On peut remarquer que ce qui est premier selon l'essence, à savoir le degré zéro qui est celui de la possibilité universelle, ne l'est pas dans le développement concret de la connaissance humaine, puisque ce n'est que de la considération des conditions naturelles détaillées aux niveaux 1 et suivants, qu'a pu se former, dans la culture intellectuelle de l'homme, la notion du degré de la possibilité a priori, qui est celui exprimé par le point de vue mathématique. Dans l'ordre naturel qui est celui de la formation de la connaissance, le degré zéro n'est donc qu'un résultat exprimé, abstrait de la seule consistance, de la seule coïncidence synthétique de la suite hypothétique des moments qui lui succèdent, suite dont le départ est connu de façon familière, mais qui, à l'échelle où nous l'envisageons ici, demeure bien évidemment indéfinie quant aux possibilités d'extension ou de clôture offertes par son développement cosmologique. (1)

     

     

    De la monade universelle à la monade biologique

     

    En raison même de sa quotidienneté, on ne remarque pas assez le caractère profondément original de ce symbolisme, puisqu'en définissant l'homme comme un segment vertical, il a pour conséquence de faire de lui un cousin de l'arbre, voire, à sa limite idéale, du fruit, et en tous cas un être davantage placé sous le régime de la croissance végétale, qu'une forme apparentée à la généralité du règne animal; - à moins de remonter, dans celui-ci, jusqu'à un degré de primordialité qu'on qualifiera de "cytologique", la cytologie ayant d'ailleurs réellement ce caractère d'une monadologie appliquée. On peut même dire de la cytologie qu'elle est, relativement à la monadologie (pythagoricienne, s'entend, c'est-à-dire "indéfinitésimale"), ce qu'est la cristallographie relativement à la théorie des objets premiers, et plus généralement à la notion pythagoricienne de symétrie d'objets construits par addition de monades : un exemple d'application quasi immédiate de la nature mathématique, à la nature physique. Nous disons "quasi immédiate", car naturellement, ces applications physiques de la loi mathématique n'ont, dans un cas comme dans l'autre, qu'un degré d'exactitude statistique, "à gros grains"; ce qui n'affecte en rien leur validité, car, comme l'a montré Granger, et comme le savait aussi Pythagore, le vague, l'à-peu-près et le grossièrement défini, ne sont pas pour la mathématique des maladies originelles, mais des conditions aux limites positivement instituées, et assumées de l'intérieur par cette science, en tant que nécessaires à l'expression même de ce qui importe, avant même qu'elle ne s'avise de légiférer sur les conditions de possibilité de la nature physique.

    Concernant cette application de la monadologie au niveau le plus élémentaire de la biologie, et donc par déduction, à l'embryologie ou à la cytologie, Aristote nous a transmis, dans son De Anima, ce qui constitue, sans doute possible, un authentique enseignement pythagoricien,(2) et que l'on pourra retenir en guise de récapitulation de ce chapitre, du fait de son caractère profondément synthétique : "Le Vivant lui-même procède de l'idée de l'Un (1), de la longueur (2), de la largeur (3) et de la profondeur (4) premières." Les dimensions "euclidiennes" de l'espace (dimensions pythagoriciennes 2, 3 et 4) y sont définies, de façon très caractéristique, comme trois différents rapports de coordination à l'unité-point originelle, qui, du fait de cette relation organique, sont maintenus liés ensemble dans l'unité. Mais l'unité originelle comprenant elle-même un rapport, qui est l'identité, on est contraint, comme de juste, de dénombrer quatre temps dans la genèse de l'espace, comme dans celle de l'"individu" vivant en lui.

    Dans le même ordre d'idées, et pour ne pas nous limiter aux seules autorités anciennes, le pythagoricien d'Arcy Thompson a entrepris une étude systématique des formes de la nature, aussi bien vivantes qu'inanimées, à partir de leurs seules conditions de possibilité mathématiques, éventuellement soutenues par quelques principes élémentaires de mécanique, en négligeant toutes les conditions de réalisation intermédiaires pouvant relever de la chimie, de la biologie ou de la génétique, et au moyen des seules catégories mathématiques de forme et de croissance, pour la définition desquelles il utilise, sans surprise pour nous, les notions pythagoriciennes de gnomon et de médiété (notamment logarithmique). Cette entreprise a laissé sceptique une partie du public scientifique, en raison de son apparente absence d'application pratique immédiate, et de son caractère de pure "théorie", au sens ancien d'intelligence directe, de contemplation du possible. Cependant, comme l'a remarqué Alain Prochiantz, les découvertes récentes de la génétique ont, rétrospectivement, donné raison à d'Arcy Thompson, en établissant que la forme de l'homunculus était bel et bien représentée sur l'ADN.

    La physique pythagoricienne est un domaine dans lequel l'ancien et le moderne se tiennent souvent la main, dans une relative indifférence des évolutions ou des progrès scientifiques qui sont supposés les séparer. Les noms de Pythagore et de Philolaos sont couchés sur la première et la dernière page de Forme et croissance; et il n'y a pas une bien grande différence entre la démarche d'Eurytos, entreprenant de représenter les formes de l'homme et du cheval au moyen d'assemblages géométriques bidimensionnels de points monadologiques ou de "gros points" pythagoriciens, - apparemment affectés de valeurs arithmétiques ou "pondérales" différentes, représentées par des jetons de différentes couleurs, - et celle de Turing, reproduisant les motifs des pelages de différents mammifères au moyen d'agents chimiques purement théoriques et imaginaires, inspirés de la logique et de l'informatique, (mais avant tout de la découverte émerveillée de l'oeuvre de d'Arcy Thompson), et que la chimie moléculaire, en retard sur la simulation informatique, devait mettre quelques décennies à pouvoir, à son tour, réaliser expérimentalement.

     

     

    (1) C'est un sujet d'étonnement, pour certains historiens, que ces fondateurs de la cosmologie moderne que sont Copernic, Kepler et Newton, aient été des pythagoriciens, inclue la dimension ésotérique de cette pensée. Mais il faudrait commencer par rappeler que la notion même de cosmos est d'origine pythagoricienne,  - du moins si on la considère en tant que fondement d'une science positive : la cosmologie, dont la notion et le projet se sont apparemment conservés jusque dans le cerveau de Stephen Hawking, et donc abstraction faite de l'étymologie, par laquelle ce mot se rattache à une tradition immémoriale, relative aux rites de  fondation de villes, dans laquelle il désigne, comme le mot latin mundus, ("monde" - antonyme : immonde) un lieu consacré et purifié ("cosmétique") au centre du village, symbolisant le centre du monde. Or, le problème de l'analogie du microcosme et du macrocosme, est un problème qui, bien compris, présente précisément deux côtés qui n'ont aucune vocation à être confondus: un côté symbolique et ésotérique par lequel il échappe en général aux capacités de l'intellectualité moderne, et un côté qui est éminemment positif et pratique, par lequel il se confond avec la question de la continuité des lois de la nature à toutes ses échelles, qui est la question même de la science, dans la conception d'ailleurs assez limitée que s'en font les modernes. De ce point de vue, il n'y a en effet aucun moderne dont la mentalité ressemble davantage à celle d'un présocratique, que Newton.

    (2) Comme l'ont remarqué divers auteurs, tels que Paul Kucharski ou, plus récemment, Enrico Barazzetti. Aristote mentionne, comme source de cette doctrine, un ouvrage perdu de Platon, (ou peut-être un enseignement oral), les Leçons sur la philosophie, - apparemment associé de manière étroite à la doctrine "vitaliste" du Timée. La formule d'Aristote est reprise par Jamblique dans son propre traité de l'Ame, qui déjà, la replace avec pertinence dans son véritable contexte pythagoricien. La définition d'Aristote est à rapprocher, manifestement, d'un propos de Saint Paul sur la "plénitude" (plérôme) de la connaissance, (Ephésiens, III, 17-19), que Raymond Abellio fait figurer en exergue de son ouvrage La structure absolue.  "... de sorte que, étant enracinés et fondés dans la charité, vous deveniez capables de comprendre avec tous les saints quelle est la largeur et la longueur, la profondeur et la hauteur, et de connaître l'amour du Christ qui surpasse toute connaissance, pour que vous soyez remplis de toute la plénitude de Dieu." Dans cet essai inspiré, bien qu'un peu touffu, Abellio présente la "sphère sénaire-septénaire universelle", (formellement identique à la monade pythagoricienne, mais à laquelle il associe en outre des vecteurs de mouvement), comme le support d'une dialectique universelle dont les deux polarités principales, l'intensité et l'amplitude, nous semblent dans le droit fil des théories cosmologiques pythagoriciennes, qu'Abellio ne semble pas connaître "en tant que telles", mais vers lesquelles sa réflexion pointe assez souvent, par ses références au Timée de Platon.

    La monade

    la sphère sénaire-septénaire universelle

     

    Très logiquement, il recourt ensuite à la topologie du cône et à celle de la double spirale, l'une et l'autre classiques en pythagorisme, pour symboliser le processus d'involution-évolution à la racine, selon lui, du mouvement cosmologique.

    La monade

     

     

     



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    V. LA DYADE INDETERMINEE ET SES DIFFERENTS ASPECTS

        

                 

    La dualité Objet/Opération revêt, dans l'idée de Granger, la fonction d'"archè", ou de principe irréductible, correspondant à "ce qui reste, une fois qu'on a tout enlevé", une fois qu'on a fait abstraction, ou soustraction, de toutes les opérations et tous les objets particuliers. Cette notion n'est donc pas elle-même d'ordre mathématique, mais métamathématique.

    La tradition pythagoricienne connaît une notion qui assume, à l'égard de la mathématique et de la science, une prééminence du même genre, notion qu'il est d'usage de traduire  en français par l'expression : "dyade indéfinie", mais que l'on choisit ici de nommer "dyade indéterminée", pour éviter de la confondre avec une notion de niveau inférieur. Cette notion a, en effet, dès l'antiquité, et plus gravement encore de nos jours, donné lieu à diverses méprises, du fait que chacun des termes qui la composent peut être interprété dans un sens moins universel que celui, métamathématique, et d'ordre vraiment primordial, qui est le sien en réalité. Ainsi, le terme "indéterminé" peut être confondu avec une notion de niveau inférieur, qui est le second terme, négatif, d'un cas précisément déterminé de la "dyade indéterminée" : la dyade "Défini - Indéfini". De même le terme "dyade" a pu, dans cette même expression, être compris à tort comme désignant "l'idée du nombre 2", c'est-à-dire comme un opérateur intervenant dans la construction de l'arithmétique, ce qu'il ne signifie en aucune manière dans cette expression, où sa portée est plus universelle, puisqu'antérieure à la définition même du nombre, comme de l'arithmétique. Dans les deux cas, l'erreur provient, comme on le voit, de la confusion du mathématique et du métamathématique.

    La langue française s'est elle-même montrée hésitante, pour trouver un équivalent à la paire de concepts qui est, de l'avis général, le représentant historique le plus décisif de cette doctrine, la dyade "Peras-Apeiron", objet de fragments inestimables de deux autorités pythagoriciennes : Alcméon et Philolaos, tous deux crotoniates. Trois solutions ont été adoptées. Fini - Infini, Limite (ou "Limitant") - Illimité, Défini - Indéfini. Tous ces termes ont reçu, en mathématique moderne, des applications précises, entre lesquelles existe un écart de signification important. Pourtant, seule la première de ces traductions, qui était celle en usage au XIXe siècle, peut être considérée comme impossible, la notion de l'infini ne pouvant relever, en pythagorisme comme dans toute doctrine au sein de laquelle on se refuse à mélanger les genres, que du domaine exclusif de la connaissance métaphysique, et n'ayant pas sa place en mathématique; n'en déplaise à l'habitude hyperbolique contractée par les modernes, - habitude qui n'a pas de justification plus profonde, que le fait que la véritable notion de l'infini leur soit, en règle générale, inconnue, ou étrangère, aussi bien que toute autre notion de métaphysique véritable.

     

    Peras - Apeiron

    Limite - Illimité

    Défini - Indéfini

    A ce premier noyau d'idées mathématiques, on peut d'abord relier la dyade logique du  Même et de l'Autre du Timée de Platon (Identité - Différence), dans la mesure où la partie centrale du Timée peut, selon toute vraisemblance, être considérée comme un ouvrage de l'école de Philolaos-Timée, dont Platon n'est que l'éditeur. On peut, de même, remarquer que la dualité du Discret et du Continu, bien qu'elle coure le risque de se voir taxer d'anachronisme (1), constitue, pour le sens, qui seul importe ici, une traduction également légitime, et peut-être la plus éclairante, de la dyade de Philolaos. Enfin, à toutes ces dyades, on peut encore associer une variété de notions qui se rapportent, elles, à la polarisation caractéristique de la structure géométrique du gnomon; ainsi, le gnomon présente un côté Fermé et un côté Ouvert; un côté qui est l'Origine, ou l'Ombilic, et un côté auquel sont liées les idées de Croissance ou d'Augmentation.

    Dans toutes ces situations, le terme "dyade indéterminée" se rapporte donc à la paire d'universaux irréductibles qui reste au fond de la pensée mathématique, une fois qu'on l'a délestée de ce qu'elle contenait. Plus précisément, la doctrine pythagoricienne suppose que, par delà la variété d'aspects sous lesquels cette dyade se présente, il existe une forme ou un moule absolument universel, absolument vide et inconditionné, qui, comme tout ce qui est vraiment premier dans l'ordre intellectuel, demeure en lui-même insaisissable. L'essentiel demeurant toutefois que, si l'on s'attache avec sincérité à l'un de ses aspects, on est contraint, par un chemin ou un autre, de récupérer les autres.

    La dualité grangérienne Objet/Opération peut donc apparaître comme un aspect particulier de la dyade indéterminée, adéquat à un certain moment de la pensée, ou de la réalisation mathématique particulière qui est celle de la mathématique moderne, sans qu'on doive estimer pour cela qu'elle l'emporte sur les autres de manière absolue ou catégorique, en terme de primauté, ou de fondamentalité. On peut d'ailleurs remarquer que, chez Granger lui-même, la dyade Contenu - Forme apparaît plusieurs fois comme une dyade concurrente et complémentaire de la dyade Objet - Opération.

    Les différents aspects de la dyade indéterminée ne sauraient donc donner lieu à une "table des catégories" prétendant à la complétude; et la fameuse "table des opposés" transmise par la tradition pythagoricienne sous le nom d'Alcméon de Crotone, que nous rappelons plus loin pour mémoire, ne fait, à cet égard, pas plus autorité que celle que nous proposons ici, en guise de récapitulation de ce chapitre. Les notions qui suivent n'ont été choisies que parce qu'elles nous paraissent avoir un sens bien établi dans un contexte déterminé, qui est, pour nous, celui de la mathématique moderne et de son expression métamathématique. Les aspects de la dyade indéterminée sont par essence "indéterminés" dans leur nombre même, parce qu'ils relèvent de la nature, de la déterminité même de l'homme, déterminité qui est d'ordre spatio-temporel, historico-géographique, mais aussi, s'agissant d'une table de ce genre, linguistique. La doctrine pythagoricienne est, du reste, la seule que nous connaissions à formuler dans les termes les plus clairs ce principe de la contingence, notamment linguistique, du commencement de la science - au contraire de la science moderne qui s'imagine toujours pouvoir disposer d'un fondement, ou même d'un objet absolu.

    "Le plus sage est le Nombre, et après lui vient celui qui donne leur nom aux choses", énonce un acousmate pythagoricien. Le nombre n'est principe de connaissance, que pour autant qu'il s'applique originairement à quelque chose d'autre; quelque chose qui n'est pas de la nature du nombre, mais qui est de la nature "exemplaire" et "permutante" (ou encore : paradigmatique), des choses nommées, des choses qui reçoivent de l'homme leur nom.

    Même la tétractys n'a pas, en pythagorisme,  le statut de commencement absolu, mais seulement celui de commencement excellent.  (2)

    Cette contingence du commencement n'implique, bien évidemment, aucune espèce de "relativisme" concernant la connaissance qui en est le résultat. Ce qui distingue les pythagoriciens des autres philosophes ou scientifiques, réside, principalement, dans la possession d'une certitude inébranlable, certitude qui n'est autre que la foi scientifique, et qui est par nature incommunicable, puisqu'elle ne consiste qu'en la pure intellection de ce que l'on a dans la pensée.

      

    Limite - Illimité

    Défini - Indéfini

    Discret - Continu

    Nombre - Figure

    Identité - Différence

    Objet - Opération

    Contenu - Forme (Contenant)

    Graine - Gnomon

    Fermé - Ouvert

    Origine - Croissance

    Un - Multiple

    Impair - Pair

     

      

     

    La table d'Alcméon

     

    Ce qui se montre avec évidence dans cette image ancienne de la doctrine, c'est que la dyade indéterminée a beaucoup moins de rapport avec le nombre 2 qu'avec le principe universel de l'ordinalité, en tant qu'il s'oppose à la cardinalité de la monade. L'appellation "table des opposés" semble  donc fâcheusement insuffisante, en ce qu'elle néglige le fait que ces opposés se présentent, dans la table d'Alcméon comme dans celle ci-dessus, d'une façon qui est toujours la même, selon une règle de polarisation constante, ou encore, comme une suite ordonnée dans laquelle chaque terme se voit attribuer une position d'ordre : 1 ou 2. 

    Ce qui, en outre, distingue ces deux tables, aussi bien de celle d'Aristote, que de celle de Kant - malgré le mérite éminent de ces dernières - est leur absence de prétention à la complétude, prétention qui serait illusoire, étant donné le caractère d'exemplarité non close que revêt, dans sa nature même, tout paradigme linguistique.

     

    Limite - Illimité

    Impair - Pair

    Un - Multiple

    Droite - Gauche

    Mâle - Femelle

    Non mû - Mû

    Droit - Courbe

    Clarté - Obscurité

    Bien - Mal

    Carré - Rectangle (3) 

          

     

        a. Le développement continu de la tétractys      La dyade indéterminée

     

        Parmi les représentations symboliques les plus éloquentes de la dyade indéterminée figurent, outre le prétendu symbole du soleil, (qui ne l'est en réalité que dans la mesure où le soleil peut lui-même être considéré comme un symbole de ce dont il s'agit), et qui est plus originairement le symbole du centre du monde, de l'ombilic, ou du pôle, - le cône, ainsi que divers objets dérivés de cette forme mathématique, tels que l'entonnoir ou le sablier, ou encore, tout naturellement, la lettre V de notre alphabet, ou l'accent circonflexe français ^, analogue au lambda grec.       

     

     

    Autologie et consistance de la dyade

     

    Pour conclure, on peut remarquer qu'en raison de son extrême universalité, mais aussi de sa vacuité essentielle et positive, la dyade indéterminée recèle la capacité de se comprendre elle-même de façon autologique, en tant que cas particulier, sans entraîner de paradoxe, ni de "régression infinie", de sorte qu'on peut sans doute admettre comme cas ultime de la dyade indéterminée le couple "monade-dyade", ou encore le couple "cardinalité-ordinalité", à nos yeux équivalent, ou de sens très voisin.

    De fait, la proposition : "La paire  orientée La dyade indéterminée - dans laquelle un concept, et non uniquement un mot, en précède un autre, - est un exemple, un cas particulier d'ordinalité", est une proposition vraie et consistante, qui ne renferme ni paradoxe, ni régression. Cette capacité autologique est une des raisons qui expliquent les confusions, dont certaines sont anciennes, que cette doctrine a suscitées; comme le fait qu'on ait cherché à voir dans la dyade un opérateur exclusivement arithmétique, alors qu'elle ne l'est que secondairement, dans la mesure où le nombre naturel est un cas particulier d'ordinalité, tandis que le domaine complet dans lequel opère la notion d'ordinalité est, quant à lui, d'un degré plus profond et plus universel à la mathématique, et tel qu'on ne peut le qualifier que de métamathématique, puisqu'il est antérieur au nombre lui-même. (4)

     

     

    (1) Sauf par quelques mathématiciens avisés : "Le problème du continu, qui mériterait le nom de problème de Pythagore..." Hermann Weyl, Le continu et autres écrits, Vrin, 1994.

    (2) Car la tétractys n'est que cela : une forme logique consistante, parce que dotée d'un contenu mathématique; ce qui veut bien dire une forme particulière, parmi d'autres possibles. Si, sur le plan du développement historique et contingent de la science, la tétractys a pu ou peut encore revendiquer le statut de forme idéale ou parfaite, (en tant qu'elle serait, en particulier, la Pensée et l'Outil permettant d'entrer dans le secret des lois de la Nature), c'est donc à titre de rivale d'autres formes concurrentes, auxquelles elle propose un défi que l'on pourrait formuler ainsi. Toute science, toute connaissance vraie, devant consister dans une pensée, et donc dans le rapport d'un Contenant, d'une représentation ou d'une forme, à son Contenu, à l'idée même qu'il contient, la meilleure science, la meilleure connaissance, peut dès lors être caractérisée comme la plus synthétique, c'est à dire comme la pensée qui recèle le contenu le plus riche, le plus universel, sous le contenant le plus maigre, la forme la plus dépouillée.

    (3) Au sens gnomonique, où ces notions signifient : "égalité - inégalité" des côtés du quadrilatère, et ne sont donc qu'une variante géométrique de la dyade logique "Identité - Différence" ou "Même - Autre". En remarquant que ces notions, ici, peuvent également être dérivées des catégories arithmétiques "Impair - Pair" et "Un - Multiple".

    (4) Sur la dyade en général, on peut consulter l'étude de Philippe Soulier (La dyade platonicienne du Grand et du Petit, principe formel ou matière informe? - à voir ici), qui fournit une abondante documentation. Il convient, pour la lire, de ne pas se laisser impressionner par l'habitude ou la manie universitaire qui consiste à attribuer à Platon des idées qui ne lui appartiennent en aucune manière, et sur lesquelles son point de vue particulier ne présente, d'ailleurs, qu'un intérêt très relatif; puisque l'essentiel du dossier réuni par Soulier est bien de tradition pythagoricienne, - hormis évidemment pour ceux qui nient la permanence historique de cette tradition, permanence qui est indépendante et à vrai dire incommensurable à la tradition philosophique issue de Socrate et Platon, et dont la réalité n'a pu être ignorée, ou mise en doute, qu'en raison de sa nature purement intellectuelle : parce qu'elle ne peut se vérifier qu'à un niveau intellectuel auquel une certaine catégorie d'esprits "sceptiques" n'a tout simplement pas accès. L'oeuvre de Platon a, indubitablement, le caractère d'une encyclopédie du savoir grec, dans laquelle maintes doctrines présocratiques sont évoquées, ou mises en scène de manière quelque peu anarchique, sous des formes souvent dénaturées. Aussi, l'habitude qui consiste à attribuer à Platon l'ensemble des idées que son oeuvre renferme, n'a, bien souvent, pas plus de sens que n'en aurait, par exemple, la convention d'attribuer à "Larousse" ou à "Bordas" les doctrines de penseurs dont la trace aurait été conservée par hasard dans des encyclopédies de ces éditeurs, sous prétexte qu'un quelconque accident de l'histoire aurait fait disparaître les noms ou les oeuvres originales de ces penseurs. 

    Philippe Soulier ne se demande même pas si la dyade indéterminée est un concept qui pourrait posséder, a priori, une validité scientifique universelle et absolue, comparable aux concepts : "trois" ou "racine carrée". Dans son système de pensée, tout ce qui figure dans l'oeuvre de Platon ne peut être qu'une création "ex nihilo" du cerveau de ce génie, et ne présente d'intérêt qu'à ce seul titre. D'où la placidité avec laquelle est asséné cet énoncé préliminaire : "Selon une tradition fictive (c'est nous qui soulignons) qui remonte probablement à l’ancienne Académie, Platon aurait hérité des Pythagoriciens une doctrine de la dualité des principes ontologiques suprêmes : l’Un et la Dyade indéfinie". Tant pis si cette affirmation aussi gratuite que délétère (puisqu'elle revient à supposer que tous les auteurs pythagoriciens antérieurs à Platon qui ont disserté sur la dyade indéterminée, tels qu'Alcméon, Empédocle ou Philolaos, pour ne pas citer le cas litigieux de Timée, étaient en quelque sorte "inconscients" de ce dont ils discouraient) est contredite par le premier témoignage qu'il veut invoquer, celui d'Aristote, dans lequel l'opinion de Platon n'est examinée que dans le cadre d'un examen des conceptions scientifiques pythagoriciennes. Car il convient de préciser qu'à l'embarras de M. Soulier, la "tradition fictive" dont il fait état correspond en fait à l'opinion à peu près unanime de l'ensemble des auteurs de l'antiquité. On peut donc admirer l'enfumage de la référence à l'"ancienne académie", expression qui ne désigne rien d'autre que la troupe des disciples et des héritiers directs de Platon. De sorte que la thèse de Soulier se réduit à peu près à ceci : "Il s'est passé quelque chose d'inexplicable entre Platon et une bonne partie de ses disciples (et notamment, pour lâcher des noms : Aristote, Speusippe, Philippe d'Oronte, Xénocrate, Eudoxe de Cnide, l'auteur inconnu de l'Epinomis... bref, une véritable conspiration mythomaniaque au sein même de l'académie platonicienne)  - cette catastrophe ayant virtuellement pu se produire aussi bien du vivant du Maitre qu'après sa mort - qui fait que l'ensemble des témoignages de l'antiquité doivent être rejetés en bloc, du fait que ces gens-là ne pouvaient pas apprécier le génie de Platon avec la même lucidité que nous autres, modernes, le faisons aujourd'hui." Ou encore : "Avant Platon, les philosophes qui spéculaient sur la dyade indéterminée le faisaient dans un état  d'hypnose ou d'auto-suggestion hallucinatoire; tandis que, après Platon (c'est-à-dire pendant une période de huit siècles qui s'étend des disciples de Platon à Proclus), il n'a existé que des philosophes qui calomniaient Platon parce qu'ils ne le comprenaient pas". Tout ceci étant posé en préambule comme un dogme mystérieux et ineffable, sur lequel doit impérativement s'appuyer tout le reste, mais qui ne nécessite en lui-même aucune justification particulière. - Naturellement, il importe peu à M. Soulier que la dyade indéterminée soit une notion indispensable à la mathématique pythagoricienne tout entière, sous-jacente à l'intégralité des concepts que cette doctrine renferme. De ce point de vue, sa position de principe, qu'elle relève d'un réflexe de crispation corporatiste ou, plus innocemment, d'une forme d'automatisme mental, rend, à vrai dire, la discussion quelque peu difficile, puisqu'elle ne manifeste rien d'autre que la récusation a priori de l'existence même de cette mathématique pythagoricienne.

    Abstraction faite de ces considérations "préjudicielles", notre principale réserve concernant l'étude de Philippe Soulier est celle-ci : la démarche qui consiste à relever des "contradictions" apparentes dans la doctrine de la dyade n'est pas grandement féconde, car ces contradictions n'existent en réalité que si l'on méconnaît la nature proprement métamathématique de la dyade. Le point de vue métamathématique est un point de vue éminemment universel, puisqu'il est transcendant, aussi bien au point de vue mathématique, qu'au point de vue physique, auxquels Soulier s'efforce, entre autres, de "contraindre" ou de "réduire" successivement la dyade, au prix d'artificielles contradictions. Du point de vue métamathématique, la dyade n'exprime rien d'autre que l'idée très générale de succession ou d'ordinalité, qu'elle puisse être spatiale, temporelle, ou les deux à la fois. Mais cette nature métamathématique de la dyade implique également qu'elle est "insaisissable", qu'elle ne peut être approchée que sous des aspects particuliers et divergents, - en nombre d'ailleurs indéfini, - auxquels son essence propre ne se réduit jamais, et dont aucun n'a, véritablement, d'antériorité, ni de prééminence sur les autres. La dyade est donc irréductible à quelque attribut que ce puisse être. Si, entre les différents aspects de la dyade, il n'existe pas de contradiction, c'est parce que ces aspects ne constituent précisément pas des attributs de la dyade. La dyade est, en effet, rigoureusement vide; donc, sans attribut. Au sens propre : "indéterminée", "inconditionnée"...

     






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